La Cité Bleue, une naissance artistique à Genève
La salle, menée par le chef Leonardo Garcia Alarcon, a enfin ouvert ses portes, samedi soir avec «L’Orfeo» de Monteverdi. Ce nouveau lieu polyartistique de création, production et enseignement est une pépite pour la Cité de Calvin
On assiste à une véritable naissance, plus qu’une renaissance, à la Cité universitaire de Genève. Pourquoi? Parce que si le bâtiment de la Cité Bleue a été inauguré le 28 octobre 1968 sous l’appellation de Salle Patiño, du nom de son donateur, sa toute récente rénovation due aux architectes Pierre Bosson et Stéphane Agazzi s’accompagne aujourd’hui d’un projet culturel totalement inédit à Genève, et se dote d’outils techniques révolutionnaires.
A Champel, on entendra et verra dorénavant la vie artistique en bleu, à l’image des éclairages fixes et des pastilles lumineuses tournoyant sur la façade, la nuit venue. Samedi soir, la vibration qui animait les lieux transformés était empreinte d’une grande émotion. Dans les espaces clairs, sobres, esthétiques et fonctionnels, la foule se pressait. Et pour cause.
Marathons nocturnes
Les parties d’accueil réaménagées proposent différents espaces de convivialité, dont un bar en sous-sol et un salon de musique pour de petits concerts et des activités de médiation. Ailleurs, un studio de répétition bien isolé, un local hygrométrique pour les instruments, un coin détente, des loges, des régies et installations techniques complètent l’ensemble. Les spectateurs les plus anciens sont ravis de retrouver la vitalité d’un lieu où l’activité contemporaine attirait à l’époque un public curieux. Et toute l’assemblée est impatiente de découvrir la programmation dévolue aux formes d’expression les plus diverses.
Du baroque à la modernité, on passera par le théâtre musical, la pop culture, la danse, les arts circassiens, la musique de chambre, le théâtre et les concerts de tous styles, la comédie musicale, la création, les projets pédagogiques, l’enseignement et tout ce qui peut entrer en résonance artistique… On y trouvera aussi des marathons nocturnes ou diurnes, des collaborations avec les institutions locales et des accueils internationaux. Quel programme!
Depuis la création de la Fondation Cité Bleue en 2017, et après deux ans de travaux intenses, la salle tant attendue révèle enfin ses secrets et ses merveilles. Et des merveilles, il y en a… Sous des brumes évocatrices et des faisceaux lumineux dernier cri, Leonardo Garcia Alarcon pétille comme un enfant. Le directeur artistique chérit ce «nouvel être sur le point de faire ses premiers pas» dont il veut célébrer l’aventure de vie qui s’annonce. Et il savoure la «folie» partagée qui lui a permis de réaliser un «rêve» et de concrétiser un «projet utopique devenu réel».
En présentant sur la scène toute neuve chaque personne de l’ambitieux projet, en remerciant chacun des acteurs de l’événement, tant organisationnel, financier, politique, culturel ou simple auditeur, le chef d’orchestre et d’équipe imprime sa signature, qu’on connaît bien. Exigeante, passionnée, collégiale, ancrée dans son passé argentin comme dans sa terre familiale d’accueil: Genève. Baisers envoyés au public, gracias émus, on sait qu’ici on sera chez soi, attendu et choyé.
En un clic, la sonorité de la salle passe d’une matité presque étouffante à la sonorité majestueuse d’une cathédrale
Entre les murs tapissés de fûts en bois ondulants, la première nouveauté qui frappe est une fosse d’orchestre, dont émergent deux manches de contrebasse. Modulable, mobile, motorisé et escamotable, l’objet est digne des meilleures salles d’opéra, en plus petite dimension évidemment avec ses 301 places. En relevant la hauteur au niveau du proscenium, l’appareil permet aussi d’agrandir la profondeur du plateau.
Une exclusivité en Suisse
Puis vient le plus spectaculaire. Tablette en main, Leonardo Garcia Alarcon s’avoue subjugué par l’instrument acoustique de la salle, même si sa nature profonde est enracinée dans la pratique naturelle et originelle de la musique. Il partage, ébloui, la découverte d’un système baptisé «Constellation».
Et le public reste bouche bée devant les résultats, frappement de mains collectif à l’appui. En un clic, la sonorité de la salle passe d’une matité presque étouffante à la sonorité majestueuse d’une cathédrale. Cette innovation électroacoustique, qui implique 150 micros et 32 haut-parleurs disséminés dans l’espace, permet d’accueillir tout type de formation, musicale ou non, et de se passer de micro. Mis au point par l’entreprise américaine Meyer Sound, «Constellation» représente une exclusivité en Suisse, dont il y a fort à parier que d’autres maisons se doteront à l’avenir.
Pour l’heure, on a pu déguster la première soirée musicale d’une longue épopée à venir. L’Orfeo de Monteverdi représente un choix symbolique pour le chef. Il y voit notamment la représentation de «l’amour, la mort et la résurrection», à l’image du mythe revu par l’immense Italien, du destin de la salle, mais aussi, pourrait-on ajouter, de la naissance du genre lyrique, réunissant différents styles et formes d’expression. C’est ainsi une oeuvre de lumière qui s’est installée sur le plateau, grâce à la judicieuse utilisation des projecteurs à LED colorés, et de fumigènes évocateurs pour définir les ambiances et les changements de situation.
A la manière du choeur grec
La mise en espace, simple mais pertinente, représente bien l’état d’esprit des productions de Leonardo Garcia Alarcon. Mobilité, immersion, échange, fluidité et transformation animent les acteurs. Le formidable choeur de chambre de Namur, dense, précis et malléable, intervient à la manière du choeur grec, alternativement témoin et commentateur impliqué.
La qualité de tous les musiciens de la Cappella Mediterranea n’est plus à démontrer. Mais les interventions solistes du jeune premier violon Yves Ytier, à la fois danseur et instrumentiste sensible, de la harpiste si imaginative Marina Bonetti, du solide cornettiste Doron Sherwin ou des quatre sacqueboutiers rassemblent de belles couleurs sous la direction galbée de leur chef.
L’Orfeo engagé de Valerio Contaldo se situe en tête de cortège avec la magnifique Messagère de Giuseppina Bridelli et l’Euridice vibrante de Mariana Flores. Aucun bémol dans la riche distribution, dont on se régale autant des interventions de Proserpine (fine Anna Reinhold), que de celles de Pluton (Andreas Wolf généreux), de Caronte (Salvo Vitale bien campé), de l’Esprit net de Philippe Favette, de la délicate Ninfa d’Estelle Lefort et des quatre bergers très expressifs. Une soirée mémorable.
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