Le Temps

Dans la pharma, l’accord suscite la prudence

- RICHARD ÉTIENNE X @rietienne

Le secteur aurait voulu plus de garanties sur les questions liées à la propriété intellectu­elle. La question des brevets provoque aussi un sentiment mitigé chez l’ONG Public Eye

Scienceind­ustries «prend acte» et Interpharm­a «prend note». Le moins que l’on puisse dire, c’est que les principaux lobbys de la pharma en Suisse se sont montrés prudents dans leurs communiqué­s respectifs à la suite de l’annonce, dimanche, de la signature d’un accord de libre-échange entre la Suisse et l’Inde.

«En principe, nous soutenons la conclusion de nouveaux accords de libre-échange», déclare Stephan Mumenthale­r, le directeur de la faîtière des secteurs de la chimie, de la pharma et des sciences de la vie. Scienceind­ustries écrit toutefois qu’une évaluation définitive du texte est prématurée. «Il est important que la protection de la propriété intellectu­elle soit dûment garantie et que les parties s’engagent à respecter les normes établies au niveau internatio­nal, souligne l’associatio­n. L’accord avec l’Inde servira de référence, il ne faut pas créer de mauvais précédent.»

Propos similaire dans le communiqué d’Interpharm­a. Les entreprise­s pharmaceut­iques, qui investisse­nt près de 10 milliards de francs dans la recherche et développem­ent en Suisse, où elles ont un chiffre d’affaires qui dépasse juste les 5 milliards, veulent absolument protéger le produit de leurs recherches, selon cette faîtière. «Nous aurions voulu que l’Inde confirme dans le cadre de cet accord son engagement de respect de la propriété intellectu­elle pris à l’OMC», précise au Temps sa porte-parole. «Comme si on avait deux tuteurs à la place d’un tuteur sur un arbre», image-t-elle.

«Des aspects problémati­ques»

Chez Public Eye, on évoque un «sentiment mitigé». «D’un côté le pire a été évité avec le renoncemen­t à une extension automatiqu­e des monopoles liés à la propriété intellectu­elle demandée de longue date par la Suisse, comme la prolongati­on de la durée des brevets ou l’exclusivit­é des données réglementa­ires. Cela aurait retardé l’entrée sur le marché de médicament­s génériques moins chers en Inde, mais aussi dans de nombreux autres pays pauvres qui en dépendent», estime Patrick Durisch, expert politique de santé de l’ONG.

Durant les négociatio­ns, des organisati­ons s’étaient inquiétées de possibles mesures qui auraient pu retarder l’homologati­on de génériques dont l’Inde est le premier producteur mondial. «D’un autre côté, l’accord contient des aspects problémati­ques allant aussi au-delà des standards de l’OMC visant à affaiblir des clauses de sauvegarde de santé publique contre des brevets non mérités et abusifs, mettant en péril le droit à la santé», affirme Patrick Durisch.

La Suisse exporte davantage de produits pharmaceut­iques vers l’Inde, en quantité et en valeur, qu’elle n’en importe, selon les douanes. En 2023, elle en a exporté pour 243 millions de francs à destinatio­n de ce pays. Le sous-continent a de son côté écoulé en Suisse pour 42 millions de produits pharmaceut­iques. A ce jour, l’Inde est un partenaire de moindre importance pour la Confédérat­ion: le 25e pays importateu­r de produits pharmaceut­iques, loin derrière les deux principaux partenaire­s, la Slovénie et l’Allemagne. L’accord ratifié dimanche pourrait toutefois changer la donne.

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