Le Temps

Emmanuel Macron dévoile sa vision de l’«aide à mourir»

- PAUL ACKERMANN, PARIS X @paulac

Le projet de loi promis depuis la campagne présidenti­elle se veut restrictif. Car l’Elysée craint une fracture dans la société

Il ne veut pas que l’on parle de suicide assisté ou d’euthanasie. Emmanuel Macron a dévoilé dimanche soir les grandes lignes du projet de loi qui pourrait introduire en France ce qu’il préfère appeler l’«aide à mourir». Le texte pourrait être débattu au parlement dès la fin du mois de mai. Promesse de campagne, le travail sur cette nouvelle loi est en cours depuis le début du quinquenna­t en 2022.

Cette évolution du droit français sur la fin de vie, dont les premiers détails sont révélés dans une interview présidenti­elle donnée aux quotidiens La Croix et Libération, se fera avec une volonté d’encadrer très strictemen­t les conditions d’accès. Cet «accompagne­ment» sera réservé aux personnes majeures. Les personnes concernées devront «être capables d’un discerneme­nt plein et entier, ce qui signifie que l’on exclut de cette aide à mourir les patients atteints de maladies psychiatri­ques ou de maladies neurodégén­ératives qui altèrent le discerneme­nt, comme alzheimer», affirme Emmanuel Macron. Une équipe médicale qui aura toujours le dernier mot sur tous ces aspects devra par ailleurs constater des souffrance­s physiques ou psychologi­ques «réfractair­es, c’est-à-dire que l’on ne peut pas soulager».

Autre contrainte, il faudra «avoir une maladie incurable et un pronostic vital engagé à court ou à moyen terme», déclare le président. Si l’expression «moyen terme» reste à définir, cette limite devrait rendre impossible en France certains cas de suicides assistés suisses comme celui de Jean-Luc Godard qui avait beaucoup fait parler au début des débats sur ce texte. «Son pronostic vital n’était pas engagé et il ne souffrait pas d’une maladie incurable», nous explique effectivem­ent Valérie Depadt, maître de conférence­s en droit privé spécialisé­e en biomédecin­e et membre de la mission de réflexion sur la fin de vie mise en place en son temps par François Hollande. «La France cadrera beaucoup dans un premier temps, estime Valérie Depadt.

Ce texte essaie de répondre à la question des gens atteints de maladies incurables qui font souffrir tous les jours un peu plus.» Emmanuel Macron prend effectivem­ent comme exemple les malades d’un «cancer au stade terminal qui, pour certains, sont obligés d’aller à l’étranger pour être accompagné­s».

Autre différence avec la Suisse, il n’est pour l’instant pas question de structures dédiées. «C’est également aux profession­nels de santé, si l’aide à mourir est décidée, de définir, dans un dialogue avec le patient, les modalités de sa mise en oeuvre, explique Emmanuel Macron. Par exemple, de recommande­r la présence ou non d’un personnel médical ou le lieu plus approprié, étant entendu qu’aucun n’est exclu, domicile, Ehpad [équivalent français des EMS, ndlr] ou établissem­ent de soins.» Pour Valérie Depadt, dans cette phrase, il n’est pas question de structures du type Exit ou Dignitas: «Pour l’instant, en France, on ne parle pas d’endroits où on irait mourir. Cela me paraîtrait un beaucoup trop grand pas d’institutio­nnaliser la démarche à travers des lieux où les gens iraient mettre fin à leurs jours.»

Par la personne ou un tiers

Autre différence avec la Suisse, il n’est pour l’instant pas question de structures dédiées

Pour ce qui est de l’acte lui-même, «l’administra­tion de la substance létale» sera effectuée par la personne elle-même «ou, lorsque celle-ci n’est pas en mesure d’y procéder physiqueme­nt, à sa demande, soit par une personne volontaire qu’elle désigne lorsque aucune contrainte d’ordre technique n’y fait obstacle, soit par le médecin ou l’infirmier qui l’accompagne», précise Emmanuel Macron.

Un processus très cadré donc car le président marche sur des oeufs avec une France très sensible aux débats éthiques de ce type. «Emmanuel Macron veut un texte à la française, c’est pour cela qu’il ne veut pas que l’on parle de suicide assisté», pense par exemple Valérie Depadt. L’Elysée craint effectivem­ent une fracture dans la société. La droite a d’ores et déjà fait savoir ses réserves. «Ce que propose Emmanuel Macron est bien une loi d’euthanasie», a par exemple tweeté dès dimanche Bruno Retailleau, chef des sénateurs Les Républicai­ns (droite traditionn­elle). Pour lui, «la vraie fraternité n’est pas de donner la mort mais de donner la main». ■

 ?? (PARIS, 23 JANVIER 2024/DIMITAR DILKOFF/AFP) ?? Une manifestat­ion pro-euthanasie dans la capitale. Deux jours plus tôt, les opposants à ce projet de loi défilaient lors de la Marche pour la vie des anti-avortement.
(PARIS, 23 JANVIER 2024/DIMITAR DILKOFF/AFP) Une manifestat­ion pro-euthanasie dans la capitale. Deux jours plus tôt, les opposants à ce projet de loi défilaient lors de la Marche pour la vie des anti-avortement.

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