Le Temps

Naissance d’une nouvelle égérie, moquée, de la droite américaine

- SIMON PETITE, MIAMI X @simonpetit­e

La jeune sénatrice républicai­ne de l’Alabama Katie Britt est sous le feu des critiques après son discours surjoué et mensonger en réponse à Joe Biden. Portrait d’une élue pas aussi caricatura­le qu’elle en a l’air

Si elle voulait faire parler d’elle, l’exercice est parfaiteme­nt réussi. Après son discours, jeudi soir, la jeune sénatrice de l’Alabama Katie Britt est au coeur de l’attention médiatique américaine. L’élue avait été choisie par les républicai­ns pour répondre au discours sur l’état de l’Union du président Joe Biden, comme c’est la tradition pour le parti d’opposition. Ce podium est réservé aux figures politiques les plus prometteus­es, mais certaines stars naissantes s’y sont parfois brûlé les ailes.

Pour son baptême du feu, Katie Britt s’était adressée aux Américains depuis sa cuisine. «J’ai l’honneur de servir au Sénat les gens de l’Etat formidable de l’Alabama, avait commencé cette femme de 42 ans, affichant ostensible­ment une croix autour du cou. Mais,ce n’est pas le métier de sénatrice qui est le plus important, car je suis une fière épouse et une mère de deux enfants à l’école. Je suis en souci pour leur avenir, comme pour celui de tous les enfants à travers les Etats-Unis. C’est la raison pour laquelle je vous ai invités à la maison ce soir.»

«Cela aurait pu être votre fille»

Surjouant l’indignatio­n, l’oratrice avait embrayé sur la politique migratoire du président, accusée de mettre en danger les Américains. Elle avait rappelé le meurtre, fin février, de Laken Riley, une étudiante tuée en Géorgie par un migrant vénézuélie­n. «Cela aurait pu être ma fille ou la vôtre», lâchait-elle avec émotion. Mais c’est surtout le récit d’une rencontre avec une prétendue victime des cartels mexicains qui suscite la polémique aux Etats-Unis. Katie Britt décrivait les viols incessants que cette personne avait subis dès l’âge de 12 ans. «Nous n’accepterio­ns pas que cela se passe dans un pays du tiersmonde. Ce sont les Etats-Unis et il est plus que temps que nous agissions. La politique de Joe Biden à la frontière est une honte», dénonçait-elle.

Problème: la personne en question, comme l’a vérifié Jonathan M. Katz, un journalist­e de l’agence Associated Press, n’a pas été enlevée par un cartel. Elle a été victime d’un proxénète loin de la frontière et les faits se sont produits dans les années 2000, durant la présidence de George W. Bush. Cette Mexicaine, du nom de Karla Jacinto Romero, est finalement sortie de son silence pour dénoncer l’instrument­alisation de son histoire à des fins politicien­nes, le tout sans son consenteme­nt.

Depuis son discours, Katie Britt fait face à un déluge de parodies sur internet. «Ce soir, je passe une audition pour le rôle de la maman flippante», a annoncé l’actrice Scarlett Johansson, dans une imitation pour l’émission Saturday Night Live, devenue virale. Sur l’histoire de la Mexicaine victime de prostituti­on forcée, l’actrice a ironisé: «Le moindre détail était véridique, à part l’année, l’endroit où cela s’est passé, et qui était président à cette époque-là.»

Loin de se démonter, Katie Britt a contesté dimanche sur la chaîne Fox News avoir prétendu que ces viols s’étaient déroulés sous la responsabi­lité du président démocrate. «J’ai dit que, quelques minutes après être entré en fonction, il avait mis fin à toutes les expulsions et à la constructi­on du mur [à la frontière, ndlr], et promis une amnistie à des millions de personnes, ce qui a agi comme un aimant.»

Katie Britt est-elle une adepte des vérités alternativ­es chères à Donald Trump? Jusqu’ici, la plus jeune parlementa­ire républicai­ne et première sénatrice à avoir été élue en Alabama ne s’était pas signalée comme une supportric­e acharnée de l’ancien président. Cette diplômée de sciences politiques à l’Université d’Alabama a fait ses premières armes à Washington comme assistante parlementa­ire. Elle s’est ensuite fait connaître dans son Etat en militant pour rouvrir les commerces et les écoles durant la pandémie de covid.

Mettre les femmes en avant

En décembre dernier, Katie Britt a été la dernière élue, de l’Alabama à Washington, à se rallier à Donald Trump. Dimanche sur Fox News, elle affichait, par exemple, une position bien plus nuancée sur le soutien à l’Ukraine, ne l’excluant pas, contrairem­ent à Donald Trump. Ce dernier a salué son discours de jeudi soir plein de «compassion, envers les femmes en particulie­r». La quadragéna­ire est certes opposée à l’avortement, mais elle a défendu la fécondatio­n in vitro après la décision de la Cour suprême de l’Etat qui l’avait rendue impossible fin février en qualifiant les embryons d’«êtres vivants».

Le choix de cette jeune politicien­ne, seulement élue en 2022 pour répondre à Joe Biden, ne surprend pas Eviane Leidig, chercheuse américaine postdoctor­ante à l’Université de Tilbourg, aux Pays-Bas, et autrice de The Women of the Far Right («Les femmes d’extrême droite»), paru chez Columbia University Press en 2023. «C’est une figure moins connue et plus modérée que les très clivantes représenta­ntes de Géorgie, Marjorie Taylor Greene, ou du Colorado, Lauren Boebert», analyset-elle. Mais la défense de la famille et de l’enfance menacés par l’immigratio­n est clairement un thème d’extrême droite.» Quant au choix de la cuisine et la valorisati­on du rôle de mère, il y a une contradict­ion avec le fait que Katie Britt occupe une position en vue dans l’espace public. «Ces femmes répondent qu’il faut bien que les mères soient représenté­es à Washington», explique Eviane Leidig. ■

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KATIE BRITT SÉNATRICE DE L’ALABAMA

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