Le Temps

Après l’attaque de Zurich, l’heure des questions

Le 2 mars au soir, un mineur zurichois de nationalit­és suisse et tunisienne poignardai­t un juif dans la cité de Zwingli. Point de situation sur une affaire aux conséquenc­es politiques encore inconnues

- BORIS BUSSLINGER, ZURICH @BorisBussl­inger

XA la Freigutstr­asse, plusieurs policiers montent la garde face à une synagogue. Il y a environ 10 jours, un juif orthodoxe de 50 ans était attaqué à quelques centaines de mètres. Et malgré la présence renforcée des forces de l’ordre devant 17 institutio­ns juives en ville, la tension demeure haute. Retour sur une éruption de violence dont les secousses n’ont pas fini d’agiter les bords de Limmat – et la Berne fédérale.

Ce qu’on connaît des faits

Samedi 2 mars, il est 21h35 lorsque la centrale d’interventi­on de la police municipale zurichoise est avertie d’une «dispute entre plusieurs personnes» en ville. La chose n’est alors pas encore claire, mais un Suisso-Tunisien de 15 ans vient de poignarder au hasard un ressortiss­ant de la communauté juive. Touché à l’aorte et aux poumons, d’après des informatio­ns relayées par l’hebdomadai­re juif Tachles, ce dernier, dont le pronostic vital était engagé, devrait quitter l’hôpital cette semaine. Il doit notamment son salut à la réaction rapide de Yanis, 29 ans, Neuchâtelo­is de passage à Zurich pour une compétitio­n de jiu-jitsu brésilien. Pendant que le drame se joue, des passants demandent en effet de l’aide dans un restaurant où est attablé ce dernier… qui sort de l’établissem­ent et maîtrise l’agresseur. Quelques minutes plus tard, le forcené est arrêté par la police et transféré en prison préventive, où il se trouve encore aujourd’hui.

Dans les jours qui suivent, il apparaît que l’adolescent n’était encore jamais apparu sur le radar des autorités. Décrit par des proches dans la presse alémanique comme «solitaire», «calme» et «réservé», l’agresseur a grandi dans la périphérie de Zurich au sein d’une famille que ses voisins qualifient de «peu religieuse». Dans une vidéo postée en ligne avant de passer à l’acte, le jeune homme qualifie d’ailleurs les hommes de son entourage d’«apostats», leur reprochant de «ne pas être assez croyants». Il annonce son futur méfait: «Me voici, soldat du califat, répondant à l’appel lancé par l’Etat islamique à ses soldats pour qu’ils attaquent les juifs, les chrétiens et leurs alliés criminels.» Avant de détailler une attaque «prochaine» sur une synagogue et la «tentative de tuer autant de juifs que possible» – tout en appelant ses semblables à l’imiter. D’après les médias zurichois, le couteau de l’attaque aurait été acheté par l’ado peu de temps avant à la Migros. Une informatio­n que la communicat­ion du géant orange dit «ne pas pouvoir confirmer» au Temps.

La réaction politique

Le 4 mars, le parlement cantonal zurichois se déchire. Un élu UDC accuse la gauche d’antisémiti­sme, le PS et Les Vert·e·s quittent la salle. Sonja Rueff-Frenkel, parlementa­ire PLR de confession juive, dénonce l’attitude de la gauche comme de la droite et appelle à faire front commun. Le 5 mars, Mario Fehr (indépendan­t), le président du Conseil d’Etat zurichois, fait une propositio­n choc: retirer la nationalit­é suisse de l’auteur des faits (nationalis­é à l’âge de 2 ans). Une suggestion théoriquem­ent applicable, même pour quelqu’un qui a moins de 18 ans. Mais qui pose des questions éthiques. Le jeune homme est en effet soumis au droit pénal des mineurs, conçu pour resocialis­er et non pour punir, qui prévoit une peine d’emprisonne­ment de 1 an maximum. Des «mesures de protection», comme un placement en institutio­n, peuvent toutefois être prononcées jusqu’à l’âge de 25 ans. Et retirer un passeport répondra-t-il à la montée de l’antisémiti­sme? Mario Fehr n’a pas souhaité répondre aux questions du Temps.

La fin de semaine sera un peu plus calme. Le 6 mars, alors que les politiques zurichois se traitent de noms d’oiseaux depuis plusieurs jours, le Conseil municipal de la commune réussit là où ses pairs cantonaux avaient échoué: tous les partis cosignent une tribune «contre l’antisémiti­sme, la haine et la violence». Les législateu­rs communaux soulignent que «Zurich doit rester une ville où tous les habitants, indépendam­ment de leur religion, peuvent vivre en sécurité, en liberté et dans le respect mutuel.» Et appellent à l’unité.

Le 7 mars, le Conseil national soutient la création d’un plan national d’action contre l’antisémiti­sme et le racisme (seule une large majorité de l’UDC le refuse). Enfin, ce dimanche, dans un geste d’apaisement général, une chaîne humaine formée de membres de l’Associatio­n des organisati­ons islamiques de Zurich, de la Plateforme des juifs libéraux de Suisse et de la Fédération suisse des communauté­s israélites (FSCI) est formée sur les bords de Limmat. Et maintenant?

Zurich, rappelle une parlementa­ire communale appartenan­t au centre politique, comporte déjà un office de prévention de l’antisémiti­sme, un office de prévention du racisme et un office de prévention de la violence. «Et l’on croit savoir que l’auteur s’est radicalisé sur internet, qu’il est difficile de réguler.» Plusieurs motions devraient être déposées lors du Conseil municipal ce mercredi, visant notamment à augmenter la prévention en milieu scolaire.

Mais quoi qu’il en soit, il est difficile – voire impossible – d’éviter un acte solitaire. Ce qui semble jusqu’ici correspond­re au drame du 2 mars. A moins bien sûr que le Service de renseignem­ent de la Confédérat­ion (SRC), à qui il incombe de «détecter et combattre le terrorisme», n’identifie ses prémices en amont. Le chef du SRC a refusé notre demande d’interview. De l’aveu du Conseil fédéral, qui répondait mercredi dernier à une question posée en ce sens par Barbara Steinemann (UDC/ZH), cela n’avait pas été le cas pour le mineur zurichois. Selon le Tages-Anzeiger, les comptes en ligne du jeune homme montraient pourtant un rapprochem­ent clair avec l’Etat islamique… depuis novembre 2023.

«On croit savoir que l’auteur s’est radicalisé sur internet, qu’il est difficile de réguler» UNE PARLEMENTA­IRE COMMUNALE APPARTENAN­T AU CENTRE POLITIQUE

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