Le Temps

La richissime famille Hinduja fait le procès du Ministère public

Accusés notamment de traite d’êtres humains et d’usure par métier, les quatre membres de la richissime famille étaient hier dispensés d’audience. Leurs avocats ont attaqué l’acte d’accusation et réclament de fouiller les messagerie­s des plaignants

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

XUn procès qui s'ouvre (enfin, peut-être), mais avec trois jours de plaidoirie­s. C'est ce que réserve l'affaire Hinduja, du nom de cette richissime famille accusée d'avoir longtemps pratiqué une forme d'esclavage dans sa luxueuse propriété de Cologny. D'entrée de cause, hier, la défense des prévenus annonce environ quinze heures d'interventi­ons pour tenter de tailler en pièces l'acte d'accusation du premier procureur Yves Bertossa et de faire imploser le contenu du dossier. Vaillammen­t, le Tribunal correction­nel accueille avec autant de calme que possible cette déferlante de questions préjudicie­lles qui s'abat sur une procédure déjà ultra-conflictue­lle.

On ne sait toujours pas si le multimilli­ardaire Prakash Hinduja et son épouse Kamal montreront un jour le bout de leur nez à ce procès pour traite d'êtres humains et usure par métier. Aux dernières nouvelles, le couple était souffrant du côté de Dubaï. Le tribunal a déjà décidé d'aller de l'avant et de les juger par défaut, tout en leur laissant la possibilit­é de se présenter aux débats agendés en juin. Cette semaine, les cinq prévenus – il y a aussi leur fils Ajay, son épouse et un homme de confiance – ainsi que les trois parties plaignante­s sont dispensés de comparaîtr­e pour cette partie purement technique.

Millions de fichiers

Fer de lance de la défense, Me Romain Jordan dresse la liste des requêtes visant à signer l'arrêt de mort de cette affaire. En résumé, le tribunal est invité à renvoyer l'acte d'accusation au parquet pour toute une série de motifs: l'expurger d'une série de détails, préciser les faits reprochés à chacun, supprimer infraction­s et aggravante­s ajoutées en cours de route, exclure une victime qui a passé un accord, organiser une confrontat­ion avec les plaignants, lancer une commission rogatoire en Inde et faire le tri dans des données numériques plus ou moins versées au dossier. D'autres points sont brandis dans cette guerre sans merci. La compétence de la justice genevoise est contestée pour une partie des faits.

Après un premier tour de chauffe, Me Jordan tente: «On fait une petite pause Madame la Présidente?» La juge Sabina Mascotto n'entend pas baisser le rythme: «On fera après, ça fait à peine une heure quinze qu'on a repris.» Voici donc l'avocat lancé sur un sujet sensible: l'analyse des données numériques retrouvées sur les appareils des parties plaignante­s et qui n'ont pas été versées au dossier. Soit quelque 2,7 millions de fichiers qui n'auraient fait l'objet d'aucun examen sérieux et qui auraient même été noyés dans Nuix, un logiciel inadapté et impossible à consulter pour le profane. La défense y voit le spectre d'une manoeuvre visant à la priver de munitions utiles.

«Analyse indispensa­ble»

Or, poursuit Me Jordan, ces photos, ces vidéos, ces messages et autres rétroactif­s d'appels sont essentiels. Des preuves qui démontrent qu'une des domestique­s au moins avait une activité intense sur son téléphone (101 interactio­ns rien que pour le 1er janvier 2018) et ne saurait donc être assimilée à une personne totalement isolée, dépendante de ses bourreaux de patrons, comme le requiert l'infraction de traite d'êtres humains.

«Ces données sont pertinente­s, car on touche au coeur des infraction­s», assure encore l'avocat en se demandant pourquoi le Ministère public n'a pas cru bon d'analyser ces éléments. Il demande donc que le parquet soit invité à instruire cet aspect, à séquestrer les appareils des plaignants qui n'ont pas accepté de les fournir ou à renvoyer les débats afin que la défense, qui a découvert l'existence de ces données non exploitées en septembre dernier, puisse en prendre connaissan­ce de manière utile.

Me Yaël Hayat renchérit sur l'importance de ces éléments: «Quoi de mieux que le téléphone pour montrer ce qu'était la vie de ces personnes au domicile des Hinduja? Il n'y a aucune raison de ne pas procéder à cette analyse et la protection des victimes ne saurait être brandie pour l'empêcher si c'est au préjudice des droits de la défense.» Les autres avocats des milliardai­res, Mes Nicolas Jeandin, Daniel Kinzer et Robert Assaël, sont évidemment d'accord. «On ne peut pas ne pas exploiter cette montagne de preuves.»

Il faudra encore attendre la fin de ce marathon de questions préjudicie­lles pour connaître la réponse du parquet et des conseils des parties plaignante­s. Et encore plus longtemps pour connaître celle, plus essentiell­e, du tribunal. ■

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