La montre de collection face à un nouvel arbitrage
L’horlogerie n’est plus la star des ventes aux enchères. Le résultat cumulé des six principales maisons affiche un recul de 13% par rapport à 2023. Mais le prix moyen reste élevé et Patek Philippe est toujours au sommet
Les chiffres ne laissent aucun doute. L’horlogerie ne tient plus la vedette sous le marteau des commissaires-priseurs, alors que la joaillerie continue de creuser l’écart. Les ventes aux enchères de montres affichent un recul de 13% par rapport à 2022 (-10% à taux de change constant) à 610 millions de francs. Sur la même période, les joyaux s’inscrivent en progression de 20%, à 1,2 milliard de francs. C’est ce qui ressort de l’étude Hammertrack 2023, publiée ce lundi par Thierry Huron, dirigeant de The Mercury Project, basé au Landeron (Neuchâtel).
100 000 francs et plus
L’étude compile les données des six principales maisons actives sur ces spécialités, Christie’s, Phillips Bacs & Russo, Sotheby’s, Antiquorum, Bonhams et Polyauction (dans l’ordre d’importance). Et le résultat confirme la normalisation à haut niveau des ventes publiques de montres de collection. Le pic a été atteint en 2022, avec un total de 701,6 millions de francs. L’exercice 2023 repasse même sous le niveau de 2021, établi à 634 millions de francs. Cette contreperformance doit toutefois être relativisée. Elle survient après plusieurs années de croissance extraordinaire. En 2019 (le point de référence pré-covid), les enchères de montres se situaient à 390 millions de francs.
L’effet d’arbitrage demeure évident. A la valeur de collection des garde-temps, la clientèle a préféré la valeur intrinsèque de la joaillerie. La place genevoise n’y est pas étrangère. Comme le souligne l’auteur de l’étude: «Ce succès est à mettre au crédit du dynamisme de Genève (en première position pour 2023), mais aussi de Londres, Paris et aussi Los Angeles.» Il pointe également l’importance de l’offre, avec la mise sur le marché de pièces joaillières «hautement attractives» signées, Bulgari, Cartier, Harry Winston et Van Cleef & Arpels.
L’arbitrage transparaît aussi nettement au sein même de l’horlogerie. Avec une préférence claire pour les valeurs de référence et les segments supérieurs. Premier indicateur, le prix moyen est resté stable et à haut niveau. Il se situe à 48 600 francs en 2023, soit 3% plus bas qu’en 2022, mais plus élevé qu’en 2019 (32 000 francs). Deuxième indicateur, le poids des lots estimés entre 100 000 francs et 1 million a continué à résister, malgré la baisse de l’offre. Ce segment de prix a dominé le marché en 2022, en montant à 53% du résultat total. En 2023, la part est tombée à 48%, tandis que le nombre de lots proposés sur ce segment a diminué de 20%, passant de 1534 à 1222.
La focalisation sur les valeurs de référence est encore plus flagrante. En horlogerie de collection, la marque est centrale et les ventes sont restées concentrées. Les meneurs du marché ont même renforcé leur position l’an dernier. Thierry Huron pointe en particulier, Patek Philippe, Rolex, F.P. Journe et Richard Mille. Ces quatre maisons ont compté pour 77% des ventes en 2023, par rapport à 71% en 2022. Un fabricant phare est toutefois resté en retrait l’an dernier: Audemars Piguet. Recul mathématique, puisque le nombre de lots mis en vente a reculé à 138, contre 225 en 2022. L’étude rappelle que 2022 était une date particulière, le 50e de l’emblématique modèle Royal Oak – les vendeurs s’en sont souvenus.
Les pièces d’exception résistent
«Ce succès est à mettre au crédit du dynamisme de Genève, mais aussi de Londres, Paris et Los Angeles» THIERRY HURON, DIRIGEANT DE THE MERCURY PROJECT
Quant au sommet de la pyramide, il n’a même pas senti le vent souffler. «Les adjudications millionnaires ont prouvé à quel point les pièces horlogères d’exception peuvent être résistantes dans un contexte baissier.» A preuve. Malgré une baisse notable du nombre de lots estimés à plus de 1 million de francs (-41%, de 98 à 58), ce segment de prix a enregistré une légère progression (+2%), pour un total de 122,6 millions de francs. Soit un prix moyen de 2,1 millions, contre 1,2 million en 2022.
Ce ne sera une surprise pour personne, c’est encore une fois Patek Philippe qui tient la haute main. Sur les dix adjudications les plus élevées, la manufacture genevoise apparaît cinq fois et occupe les trois premières marches du podium. La montre la plus chère est un modèle «heure du monde» de 1955, cadran émail cloisonné et boîtier en or, partie pour 7,6 millions de francs.
Egalement habitué au podium, Rolex occupe deux positions du top 10, dont la GMT-Master personnalisée par Marlon Brando sur le tournage d’Apocalypse Now. Elle a été adjugée 4,6 millions de francs.
Au niveau des maisons de vente, l’année 2023 se termine par un retournement. Christie’s prend la tête du marché, avec 460 montres vendues plus de 100 000 francs. Devant Phillips Bacs & Russo.
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