Pourquoi patrons et syndicats s’affrontent sur les CCT
Le Conseil fédéral a approuvé vendredi le mandat de négociation avec l’Union européenne. Entre satisfaction et inquiétudes des milieux professionnels, les discussions autour des conventions collectives de travail sont lancées
Le Conseil fédéral a annoncé vendredi adopter un mandat de négociation avec l’UE, négociations qui devraient démarrer formellement le 18 mars. Une nouvelle qui a réjoui le patronat. «Après une attente depuis presque trois ans, le paquet actuel est une garantie d’une protection suffisante pour les salariés», sourit le responsable romand de l’Union patronale suisse, Marco Taddei. Côté syndicats, le constat est tout autre: le texte représente un «affaiblissement sur plusieurs points, dont la suppression du système de caution et le remboursement des frais en cas de travail à l’extérieur», regrette Daniel Lampart, premier secrétaire de l’Union syndicale suisse (USS) et chargé du dossier. Les syndicats avaient exprimé leurs inquiétudes pendant la consultation.
Autre point qui grince, la question des conventions collectives de travail (CCT). Les CCT couvrent au total – celles qui sont étendues à toute la branche ou profession et celles qui ne le sont pas – moins de 50% des travailleurs en Suisse. Un taux de couverture qui n’est pas suffisant dans ce contexte, selon les syndicats. «Si la Suisse est amenée à faire des concessions dans le cadre de ces négociations, il faut que nous ayons d’autres moyens garantissant le niveau de protection des travailleurs en Suisse. Or nous constatons qu’il est très difficile de lutter contre le dumping salarial hors des CCT», souligne Daniel Lampart.
«Un quorum dépassé»
D’où la volonté de faciliter leur extension. Aujourd’hui, le quorum fixé par la loi demande que les employeurs et les travailleurs liés par une Convention collective de travail forment respectivement la majorité des employeurs et des travailleurs auxquels le champ d’application de la convention doit être étendu, et les employeurs liés par la convention doivent en outre occuper la majorité de tous les travailleurs. Lorsque des circonstances particulières le justifient, la règle concernant la majorité des travailleurs peut être abolie.
Or, estiment les syndicats, ce quorum est dépassé. «Le tissu économique a changé. En raison des changements de métiers fréquents au cours des carrières mais aussi de l’existence croissante de travailleurs temporaires et de sous-traitants, la proportion de travailleurs affiliés aux syndicats et celle d’entreprises membres des organisations patronales baissent dans certains secteurs», constate Daniel Lampart. Entre 1990 et 2022, le nombre total de personnes affiliées à un syndicat ou une autre organisation de travailleurs a en effet accusé une baisse de près de 25%. «La loi date de 1956, il faut une mise à jour qui corresponde à la réalité actuelle. Les quorums en Suisse sont plus restrictifs qu’ailleurs, ce qui empêche une protection adaptée des travailleurs. En Allemagne, le seuil de 50% de couverture a par exemple été aboli.» L’USS se montre ouverte sur les modalités d’une telle «mise à jour», mentionnant des initiatives parlementaires qui préconisaient d’introduire des règles plus flexibles, y compris pour les employeurs. Des initiatives jusque-là refusées.
«Nous constatons qu’il est très difficile de lutter contre le dumping salarial hors des CCT» DANIEL LAMPART, PREMIER SECRÉTAIRE DE L’UNION SYNDICALE SUISSE
«Le compromis trouvé est excellent et maintient le niveau de protection des salaires, notamment à travers la clause de non-régression qui permet de ne pas reprendre une évolution du droit européen, rétorque Marco Taddei. Mais la question des CCT n’a rien à voir avec ce dossier, c’est un moyen détourné de réglementer davantage le travail en Suisse. Les discussions sur des «quorums coulissants» ont déjà été abordées et refusées par le parlement. Les syndicats tentent de ramener cette question par la petite porte.»
Face aux reproches formulés par le patronat de «profiter» de cette occasion pour augmenter le taux de couverture des CCT en Suisse, Daniel Lampart se défend: «L’ouverture à l’Europe représente d’importants risques pour nos salaires qu’il faut compenser. C’était déjà le principe des mesures d’accompagnement.»
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