Et si votre chef partait en grève?
Imaginez un monde dans lequel règne la bureaucratie, un discours public qui fustige la réussite et dont le système économique d’échanges libres se transforme peu à peu en un système de connivence où votre proximité avec l’Etat et votre capacité à comprendre la jungle réglementaire sont décisives pour votre succès. Ce monde qu’imagine de manière fictive la philosophe américaine Ayn Rand dans son roman La Grève, publié en 1957, est une description qui paraîtra finalement assez proche de la réalité au lecteur contemporain. Lui qui assiste actuellement à une véritable guerre des subventions entre les Etats-Unis, l’Asie et dans une moindre mesure l’Europe pour attirer des entreprises, qui croulent sous la bureaucratie.
Dans le roman, des disparitions mystérieuses s’enchaînent. Un matin, votre cheffe n’apparaît plus au bureau, sans donner d’explication. Le lendemain, c’est le travailleur le plus consciencieux qui ne donne plus signe de vie. Puis, les responsables de la recherche. Autrement dit, Ayn Rand imagine une grève de ceux qui portent le monde sur leur dos. Ce qui entraîne crises et catastrophes. Ils refusent de continuer à cautionner un monde collectivisé et réglementé à l’excès, qui exploite leurs talents tout en les sanctionnant.
Si, dans le roman d’Ayn Rand, les créateurs disparaissent physiquement, ils le font en réalité également dans nos sociétés contemporaines. Fatiguées par la bureaucratie, laminées par la progressivité de l’impôt, de plus en plus de personnes décident de faire un quiet quitting, une démission silencieuse: ne s’acquitter strictement que de leurs tâches au travail, sans plus. Ou alors, en votant avec leurs pieds, en rejoignant un pays, ou un canton, à la fiscalité plus douce et une culture moins envieuse de la réussite d’autrui.
Les personnages du roman se posent en filigrane une question qui taraude sans doute un large pan de la société: à quoi bon faire carrière, si à la fin parfois plus de la moitié de nos revenus nous est ponctionnée par l’Etat, dans le but d’être redistribuée à l’électorat qui sait le mieux convaincre la politique de le récompenser? Une culture empreinte d’une éthique protestante du travail et un certain sens de la responsabilité individuelle, au service d’un destin collectif, font que les Suisses continuent de travailler beaucoup en comparaison internationale, mais rien ne garantit que cette performance perdure. Surtout que la courbe démographique n’incite pas à l’optimisme: les deux principales dépenses de l’Etat providence, la santé et les retraites, vont mécaniquement continuer de prendre l’ascenseur avec le vieillissement de la population, et donc à peser sur le pouvoir d’achat des personnes actives, dans des proportions toujours moins nombreuses pour en assurer le financement.
Si la bureaucratie et la présence forte de l’Etat menaient à la richesse des nations et au bonheur, ce n’est pas la Suisse et les autres petits pays libres qui figureraient en tête des différents classements internationaux, mais des «paradis» du collectivisme, comme la France ou autres pays qui partent du postulat que l’individu doit s’effacer devant le collectif. Or, de par les différences observables entre les pays, ou entre les cantons en Suisse, il est largement démontré qu’en prélevant moins d’impôts, on arrive presque toujours à un résultat plus satisfaisant, pour l’ensemble de la population. Gardons en tête qu’un jour, à force de tirer sur la corde, elle peut céder. Même les plus motivés et les plus méritants ont des limites, évitons de trop les tester.
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