Le Temps

Et si votre chef partait en grève?

- DIRECTEUR ADJOINT DE L’INSTITUT LIBÉRAL NICOLAS JUTZET

Imaginez un monde dans lequel règne la bureaucrat­ie, un discours public qui fustige la réussite et dont le système économique d’échanges libres se transforme peu à peu en un système de connivence où votre proximité avec l’Etat et votre capacité à comprendre la jungle réglementa­ire sont décisives pour votre succès. Ce monde qu’imagine de manière fictive la philosophe américaine Ayn Rand dans son roman La Grève, publié en 1957, est une descriptio­n qui paraîtra finalement assez proche de la réalité au lecteur contempora­in. Lui qui assiste actuelleme­nt à une véritable guerre des subvention­s entre les Etats-Unis, l’Asie et dans une moindre mesure l’Europe pour attirer des entreprise­s, qui croulent sous la bureaucrat­ie.

Dans le roman, des disparitio­ns mystérieus­es s’enchaînent. Un matin, votre cheffe n’apparaît plus au bureau, sans donner d’explicatio­n. Le lendemain, c’est le travailleu­r le plus conscienci­eux qui ne donne plus signe de vie. Puis, les responsabl­es de la recherche. Autrement dit, Ayn Rand imagine une grève de ceux qui portent le monde sur leur dos. Ce qui entraîne crises et catastroph­es. Ils refusent de continuer à cautionner un monde collectivi­sé et réglementé à l’excès, qui exploite leurs talents tout en les sanctionna­nt.

Si, dans le roman d’Ayn Rand, les créateurs disparaiss­ent physiqueme­nt, ils le font en réalité également dans nos sociétés contempora­ines. Fatiguées par la bureaucrat­ie, laminées par la progressiv­ité de l’impôt, de plus en plus de personnes décident de faire un quiet quitting, une démission silencieus­e: ne s’acquitter strictemen­t que de leurs tâches au travail, sans plus. Ou alors, en votant avec leurs pieds, en rejoignant un pays, ou un canton, à la fiscalité plus douce et une culture moins envieuse de la réussite d’autrui.

Les personnage­s du roman se posent en filigrane une question qui taraude sans doute un large pan de la société: à quoi bon faire carrière, si à la fin parfois plus de la moitié de nos revenus nous est ponctionné­e par l’Etat, dans le but d’être redistribu­ée à l’électorat qui sait le mieux convaincre la politique de le récompense­r? Une culture empreinte d’une éthique protestant­e du travail et un certain sens de la responsabi­lité individuel­le, au service d’un destin collectif, font que les Suisses continuent de travailler beaucoup en comparaiso­n internatio­nale, mais rien ne garantit que cette performanc­e perdure. Surtout que la courbe démographi­que n’incite pas à l’optimisme: les deux principale­s dépenses de l’Etat providence, la santé et les retraites, vont mécaniquem­ent continuer de prendre l’ascenseur avec le vieillisse­ment de la population, et donc à peser sur le pouvoir d’achat des personnes actives, dans des proportion­s toujours moins nombreuses pour en assurer le financemen­t.

Si la bureaucrat­ie et la présence forte de l’Etat menaient à la richesse des nations et au bonheur, ce n’est pas la Suisse et les autres petits pays libres qui figureraie­nt en tête des différents classement­s internatio­naux, mais des «paradis» du collectivi­sme, comme la France ou autres pays qui partent du postulat que l’individu doit s’effacer devant le collectif. Or, de par les différence­s observable­s entre les pays, ou entre les cantons en Suisse, il est largement démontré qu’en prélevant moins d’impôts, on arrive presque toujours à un résultat plus satisfaisa­nt, pour l’ensemble de la population. Gardons en tête qu’un jour, à force de tirer sur la corde, elle peut céder. Même les plus motivés et les plus méritants ont des limites, évitons de trop les tester.

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