Le Temps

«Nous réservons ce poste à une femme»

Le directeur général de l’Orchestre de la Suisse romande (OSR), Steve Roger, annonce la modificati­on des conditions d’accès au rang de chef assistant de l’orchestre. Dorénavant, cette fonction se conjuguera au féminin uniquement

- PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE DE BANES GARDONNE @JuliettedB­g

En ce début d’année, l’Orchestre de la Suisse romande (OSR) annonce davantage que sa nouvelle saison, laquelle est dévoilée ce lundi après-midi. Son directeur Steve Roger pose sa volonté: «Participer au développem­ent des carrières féminines est essentiel.» Il indique ainsi que le poste de chef assistant sera réservé à une femme. Ses explicatio­ns.

Le poste de chef assistant de l’OSR qui existe depuis 2022, sera exclusivem­ent réservé à une jeune cheffe d’orchestre la saison prochaine. Quelles ont été vos motivation­s à modifier l’accès à ce poste? Alors qu’Ana Maria Patiño-Osorio, notre actuelle cheffe assistante, termine son mandat de deux ans à l’OSR, notre réflexion s’est portée sur la manière de parvenir à une égalité au pupitre. Le constat est irréfutabl­e aujourd’hui: il n’y a pas assez de femmes cheffes profession­nelles par rapport au nombre d’homme chefs, mais cela tient avant tout à une réalité mathématiq­ue. En 2022, au moment du recrutemen­t du concours de notre chef assistant, sur 250 candidatur­es, il y avait seulement 50 femmes. Par ailleurs, dans les grandes agences artistique­s notamment anglaises, la proportion entre hommes et femmes dans la direction orchestral­e est de trois quarts/un quart. Cela indique la réalité du «marché». C’est pourquoi du côté de l’OSR, nous cherchions un moyen d’agir concrèteme­nt pour que, dans les génération­s futures, il y ait plus de femmes cheffes profession­nelles, et pour que les saisons puissent refléter cette parité et cette mixité, sans être obligé de chercher artificiel­lement la parité avec des niveaux artistique­s disparates. En réservant ce poste à une cheffe assistante, c’est un moyen de participer à ce développem­ent par la formation.

L’instaurati­on de cette mesure de discrimina­tion positive a-t-elle été bien perçue? Si nous voulons participer au développem­ent des carrières féminines, c’est essentiel. Mais il faut apporter de la formation et notamment sur le terrain. Car dans les classes de direction des hautes écoles de musique, la parité existe maintenant. Elle disparaît au moment de l’entrée en carrière. D’ailleurs, sur 3000 orchestres profession­nels à travers le monde, seulement une centaine est dirigée par des cheffes. Le fossé est énorme. Mais c’est aussi contre-productif pour de jeunes femmes cheffes de se retrouver parachutée­s pour des raisons politiques devant des orchestres, avec un niveau insuffisan­t. Car elles ne sont pas réinvitées ensuite. Le bilan que nous faisons avec l’expérience d’Ana Maria Patiño-Osorio est à ce titre très positif et ces deux années lui ont permis de mettre concrèteme­nt le pied à l’étrier: une agence artistique la représente maintenant et l’Orchestre de chambre de Lausanne (OCL) notamment l’a engagée.

Combien de candidatur­es avez-vous reçues pour la prochaine sélection? Et quel sera le cahier des charges de la future cheffe assistante? Cinquante-neuf candidatur­es du monde entier ont été déposées. Après une première sélection sur vidéo, quatre candidates seront retenues pour la seconde épreuve devant l’orchestre. Le choix final résulte d’un vote de l’ensemble des musiciens et du jury invité, exactement comme dans un recrutemen­t traditionn­el, où le chef est préempté par les musiciens. Concernant le cahier des charges, il ne se limitera pas à de la direction de concerts. Ces deux années doivent servir d’apprentiss­age. Une partie du temps sera également consacrée à la découverte de l’administra­tion d’un orchestre, son fonctionne­ment budgétaire notamment.

Quels types de concerts dirigera la cheffe assistante de l’OSR? Principale­ment des séries pour les familles et les scolaires, car ce sont des programmes moins exposés en termes de durée de concert et de choix du répertoire. C’est aussi grâce à ce cadre que les jeunes écolières et étudiantes qui vont voir une cheffe diriger nos concerts vont comprendre que ce métier peut-être le leur. Il faudra néanmoins qu’elle soit prête à remplacer tout au long de la saison symphoniqu­e en cas de besoin la cheffe ou le chef engagé. Elle sera aussi l’assistante du directeur musical, et de tous les cheffes et chefs de la saison.

«Sur 3000 orchestres profession­nels à travers le monde, seulement une centaine est dirigée par des cheffes»

Quel sera le salaire de la cheffe assistante et comment est-il financé? C’est un salaire autour de 8000 francs brut par mois, et l’OSR bénéficie du soutien de la Fondation Caris dans le cadre de cette formation. L’idée est d’apporter un compagnonn­age à cette jeune cheffe, de lui offrir une expérience qui pourra lui apporter un vrai bénéfice pour sa carrière.

Ce poste de cheffe assistante va-t-il se pérenniser selon ce nouveau critère? Je ne sais pas encore, nous allons être attentifs à comment cela se passe avec la nouvelle cheffe assistante. Nous réservons ce poste à une femme pour les deux prochaines saisons pour remédier à un déséquilib­re. Espérons que nous parviendro­ns dans l’avenir à une égalité au pupitre.

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(GENÈVE, 29 MARS 2024/EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) Steve Roger: «Participer au développem­ent des carrières féminines est essentiel.»

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