Le Temps

Suisse-UE: le Conseil fédéral y croit-il vraiment?

- FRANÇOIS SCHALLER JOURNALIST­E, MEMBRE DU COMITÉ D’AUTONOMIES­UISSE

Au moment où le Conseil fédéral s’apprête à négocier d’importante­s subordinat­ions du droit suisse au droit européen, il n’est peut-être pas incongru de se poser la question des motivation­s: le gouverneme­nt croit-il vraiment à la possibilit­é que ce tournant historique soit validé par le corps électoral au moment du référendum? Plusieurs éléments permettent d’en douter.

L’élargissem­ent du front en premier lieu: la Suisse et l’Union européenne ont négocié pendant des années un projet d’accord institutio­nnel que le Conseil fédéral a finalement abandonné, estimant qu’il n’avait aucune chance de passer en vote populaire. Sous la pression des sanctions européenne­s (recherche académique, technologi­es médicales, etc.), le gouverneme­nt revient aujourd’hui avec les mêmes dispositio­ns institutio­nnelles, en les étendant d’emblée à trois nouveaux accords sectoriels eux-mêmes difficiles à faire accepter. Sur l’électricit­é en particulie­r, cela requerrait une certaine libéralisa­tion du marché suisse deux décennies après la victoire d’un mémorable référendum s’y opposant (et donnant en passant une stature nationale à un certain Pierre-Yves Maillard).

L’effet «paquet» ensuite, qui multiplie les opposition­s. La difficulté à faire passer des objets peu homogènes, touchant à des domaines distincts, est bien documentée. Certains reprochero­nt en plus au Conseil fédéral de diluer les points sensibles dans un vaste ensemble (mais ce sont les mêmes qui l’auraient autrement soupçonné de saucissonn­er le dossier pour qu’il soit plus facile à ingurgiter).

Le fait que le Conseil fédéral a rendu public le mandat de négociatio­n définitif peut aussi paraître étrange. Ce genre de document n’est en général pas diffusé, pour ne pas affaiblir la position des négociateu­rs. Il l’a été en l’occurrence par souci de transparen­ce. Berne a tout de suite précisé que la Commission européenne ferait de même avec ses propres lignes directrice­s. Peu critiquabl­e en soi, cette double «générosité» sera du genre à ravir les complotist­es. Ils en déduiront aussitôt qu’il s’agit en réalité d’un simulacre de négociatio­n. Tout n’a-t-il pas été convenu d’avance? Comme le laisse d’ailleurs deviner l’inhabituel­le brièveté du temps que les deux parties s’accordent (en principe) pour négocier ces gros morceaux: moins d’une année.

Plus sérieuseme­nt, la publicatio­n des mandats de négociatio­n va permettre de comparer les objectifs du gouverneme­nt et les résultats effectivem­ent obtenus. L’inventaire portera surtout sur le nombre d’exceptions demandées par Berne et refusées par Bruxelles. Autre inconvénie­nt: les inévitable­s demandes formulées «en vain» lors de la consultati­on sur le projet de mandat. Elles ont déjà alimenté une première réserve de déçus ces derniers jours.

A noter que cette comptabili­té sera aussi à portée d’Etats membres de l’UE opposés à l’idée qu’un pays «profiteur» comme la Suisse bénéficie d’une pluie d’opting out qu’eux-mêmes ne peuvent envisager. A moins qu’il s’agisse de faveurs clairement transitoir­es en vue d’une lointaine adhésion. Peut-on imaginer que des Etats s’opposent aux nouveaux accords bilatéraux «institutio­nnalisés» avec la Suisse? Difficile à dire. Cela dépendra d’abord de l’ambiance communauta­ire après les élections européenne­s de mai.

En tout état de cause, la question des motivation­s peut toujours se poser s’agissant de Bruxelles. L’alternativ­e à la voie bilatérale d’intégratio­n, c’est un bilatérali­sme égalitaire d’Etat à Etat, consigné dans un épais accord de commerce et de coopératio­n sur les modèles canadien ou britanniqu­e. En plus étroit encore, pour des questions évidentes d’hyper-voisinage. A force d’exceptions, il y a un moment où l’Union européenne pourrait s’en accommoder.

Il y a enfin une question de personnes. Après la défaite du gouverneme­nt en 1992 (votation sur l’EEE), des regrets s’étaient exprimés par rapport à René Felber et Jean-Pascal Delamuraz (directemen­t chargés du dossier). Deux Romands pour convaincre les Alémanique­s sur une question de souveraine­té? Périlleux. Or, le trio porteur du projet actuel comprend carrément les trois Latins du Conseil fédéral. Il serait peut-être bien que cette configurat­ion évolue d’ici la votation.

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