Suisse-UE: le Conseil fédéral y croit-il vraiment?
Au moment où le Conseil fédéral s’apprête à négocier d’importantes subordinations du droit suisse au droit européen, il n’est peut-être pas incongru de se poser la question des motivations: le gouvernement croit-il vraiment à la possibilité que ce tournant historique soit validé par le corps électoral au moment du référendum? Plusieurs éléments permettent d’en douter.
L’élargissement du front en premier lieu: la Suisse et l’Union européenne ont négocié pendant des années un projet d’accord institutionnel que le Conseil fédéral a finalement abandonné, estimant qu’il n’avait aucune chance de passer en vote populaire. Sous la pression des sanctions européennes (recherche académique, technologies médicales, etc.), le gouvernement revient aujourd’hui avec les mêmes dispositions institutionnelles, en les étendant d’emblée à trois nouveaux accords sectoriels eux-mêmes difficiles à faire accepter. Sur l’électricité en particulier, cela requerrait une certaine libéralisation du marché suisse deux décennies après la victoire d’un mémorable référendum s’y opposant (et donnant en passant une stature nationale à un certain Pierre-Yves Maillard).
L’effet «paquet» ensuite, qui multiplie les oppositions. La difficulté à faire passer des objets peu homogènes, touchant à des domaines distincts, est bien documentée. Certains reprocheront en plus au Conseil fédéral de diluer les points sensibles dans un vaste ensemble (mais ce sont les mêmes qui l’auraient autrement soupçonné de saucissonner le dossier pour qu’il soit plus facile à ingurgiter).
Le fait que le Conseil fédéral a rendu public le mandat de négociation définitif peut aussi paraître étrange. Ce genre de document n’est en général pas diffusé, pour ne pas affaiblir la position des négociateurs. Il l’a été en l’occurrence par souci de transparence. Berne a tout de suite précisé que la Commission européenne ferait de même avec ses propres lignes directrices. Peu critiquable en soi, cette double «générosité» sera du genre à ravir les complotistes. Ils en déduiront aussitôt qu’il s’agit en réalité d’un simulacre de négociation. Tout n’a-t-il pas été convenu d’avance? Comme le laisse d’ailleurs deviner l’inhabituelle brièveté du temps que les deux parties s’accordent (en principe) pour négocier ces gros morceaux: moins d’une année.
Plus sérieusement, la publication des mandats de négociation va permettre de comparer les objectifs du gouvernement et les résultats effectivement obtenus. L’inventaire portera surtout sur le nombre d’exceptions demandées par Berne et refusées par Bruxelles. Autre inconvénient: les inévitables demandes formulées «en vain» lors de la consultation sur le projet de mandat. Elles ont déjà alimenté une première réserve de déçus ces derniers jours.
A noter que cette comptabilité sera aussi à portée d’Etats membres de l’UE opposés à l’idée qu’un pays «profiteur» comme la Suisse bénéficie d’une pluie d’opting out qu’eux-mêmes ne peuvent envisager. A moins qu’il s’agisse de faveurs clairement transitoires en vue d’une lointaine adhésion. Peut-on imaginer que des Etats s’opposent aux nouveaux accords bilatéraux «institutionnalisés» avec la Suisse? Difficile à dire. Cela dépendra d’abord de l’ambiance communautaire après les élections européennes de mai.
En tout état de cause, la question des motivations peut toujours se poser s’agissant de Bruxelles. L’alternative à la voie bilatérale d’intégration, c’est un bilatéralisme égalitaire d’Etat à Etat, consigné dans un épais accord de commerce et de coopération sur les modèles canadien ou britannique. En plus étroit encore, pour des questions évidentes d’hyper-voisinage. A force d’exceptions, il y a un moment où l’Union européenne pourrait s’en accommoder.
Il y a enfin une question de personnes. Après la défaite du gouvernement en 1992 (votation sur l’EEE), des regrets s’étaient exprimés par rapport à René Felber et Jean-Pascal Delamuraz (directement chargés du dossier). Deux Romands pour convaincre les Alémaniques sur une question de souveraineté? Périlleux. Or, le trio porteur du projet actuel comprend carrément les trois Latins du Conseil fédéral. Il serait peut-être bien que cette configuration évolue d’ici la votation.
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