Des armes américaines pour les gangs haïtiens
Avec les pays des Caraïbes, la diplomatie américaine a obtenu la démission du premier ministre haïtien, Ariel Henry. Washington promet davantage d’aide à l’île face aux gangs, mais peine à freiner le trafic d’armes
Le 28 février dernier, un citoyen haïtien résidant à Orlando, en Floride, a été condamné à 5 ans de prison pour avoir tenté de transférer illégalement une vingtaine de fusils d'assaut à un gang en Haïti. Les faits remontent à 2021 quand le Mozowo 40 était l'un des gangs les plus puissants de la capitale, Port-au-Prince.
Entre-temps, le chef de ce groupe, responsable de l'enlèvement de missionnaires américains sur l'île en 2021, a été extradé et est en train d'être jugé aux Etats-Unis. Les autorités américaines avaient découvert les connexions avec la Floride quand elles tentaient de libérer leurs ressortissants.
Le résident floridien condamné fin février avait acheté dix fusils dans la région d'Orlando. Il avait prétendu que ces achats étaient pour son utilisation personnelle, profitant ainsi de la législation très souple en Floride sur l'acquisition d'armes.
Mais cette condamnation est une exception, alors que l'ONU dénonce depuis des années le trafic d'armes à destination d'Haïti.
Marché très lucratif
La contrebande renforce les gangs alors que l'île est officiellement soumise à un embargo onusien sur les armes, avec toutefois des exceptions pour les forces de sécurité. Conséquence, un marché noir très lucratif profite aux gangs désormais mieux équipés que la police, selon les experts de l'ONU chargés de contrôler l'application des sanctions. Le pays ne dispose plus d'armée depuis sa dissolution en 1995 après le retour au pouvoir du président JeanBertrand Aristide, afin d'empêcher que les militaires le renversent à nouveau.
En mars 2023, l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), basée à Vienne, estimait que la «principale source d'armes et de munitions en Haïti était les EtatsUnis, et en particulier la Floride». «Les fusils les plus populaires qui se vendent entre 400 et 500 dollars dans les magasins avec une licence fédérale ou dans les expositions peuvent se revendre jusqu'à 10 000 dollars en Haïti», écrivaient les auteurs de ce rapport. Les armes sont achetées par des «hommes de paille» aux Etats-Unis, poursuivaient les enquêteurs de l'ONUDC, puis acheminées en Floride. Ils mettaient en cause des réseaux criminels mais aussi des membres de la diaspora haïtienne aux Etats-Unis.
La plupart du temps, les armes entrent en Haïti cachées dans des containers chargés depuis les ports de Miami ou Fort Lauderdale, comme le montrent plusieurs saisies à Port-au-Prince. L'ONUDC souligne aussi la difficulté de contrôler les plus de 1700 kilomètres de côtes haïtiennes.
Washington s’implique davantage
L'an dernier, l'agence onusienne s'inquiétait déjà de la faiblesse des gardes-frontières haïtiens de plus en plus visés par les gangs, qui contrôlent désormais certains ports et aéroports utilisés aussi pour le trafic de drogue.
Les Etats-Unis sont intervenus militairement à plusieurs reprises en Haïti, la dernière fois pour réinstaurer le président Jean-Bertrand Aristide. Cette fois, ils misent sur l'envoi de renforts kényans aux côtés de la police haïtienne, toujours bloqués par un recours de la justice à Nairobi.
Washington a finalement lâché le premier ministre, Ariel Henry, qui repoussait sans cesse l'organisation d'élections et qui a été contraint à la démission lundi soir. Le gouvernement a soumis une demande au Congrès de 200 millions de dollars pour financer la mission de l'ONU des Casques bleus kényans et éviter que le pays ne sombre davantage. L'administration Biden craint un nouvel afflux d'Haïtiens en cette année électorale.
Quant à elle, la diaspora haïtienne de Floride salue le revirement de Washington mais réclame la fin du trafic d'armes vers l'île et se méfie d'une nouvelle intervention internationale. Elle veut surtout être davantage associée aux décisions concernant le futur de l'île, où elle a de la famille et des amis. «Il est temps qu'on nous écoute», déclarait la semaine dernière Marleine Bastien, une élue locale de Miami, originaire d'Haïti.
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