Le Temps

«Scandaleus­ement vôtre», petit précis d’émancipati­on et d’injures

- Scandaleus­ement vôtre S. G.

Thea Sharrock raconte comment, dans un petit village anglais de 1920, une affaire de lettres anonymes va confronter deux femmes aux moeurs opposées. Une conversati­on express en ligne avec les actrices Olivia Colman et Jessie Buckley révèle les petits secrets de cette comédie de moeurs

Il était une fois un petit village côtier du sud-est de l’Angleterre. A Littlehamp­ton, en l’an de grâce 1920, tout semble aller pour le mieux. En apparence uniquement… Vieille fille habitant encore chez ses parents alors qu’elle aspire à autre chose, Edith Swan est la cible d’un corbeau.

Elle reçoit des lettres anonymes parsemées d’injures fleuries, écrite d’une plume animée d’une vulgarité crasse. Aucun doute pour elle, l’auteur de ces missives déplacées sont une autrice, en l’occurrence sa voisine irlandaise, Rose Gooding, une jeune veuve élevant seule sa fille et aux moeurs libres et décomplexé­es. Son père est du même avis, et il est désespéré face à l’absence de réaction des forces de l’ordre.

Jusqu’à ce qu’une jeune policière, Gladys Moss, bien seule dans un univers masculin et misogyne, ne décide de mener sa propre enquête.

Olivia Colman (The Crown à la télévision, La Favorite, The Father et Empire of Light au cinéma) et Jessie Buckley (Chernobyl et Fargo pour le petit écran, Judy et Men pour le grand) incarnent dans Scandaleus­ement vôtre Edith et Rose. Les deux actrices se sont croisées sur le plateau de The Lost Daughter, un film Netflix de Maggie Gyllenhaal dans lequel elles jouent un même personnage à deux âges différents. «On n’avait donc aucune scène ensemble, mais on a eu le temps de boire un verre de vin un soir», explique Jessie Buckley, qui ne tarit pas d’éloges sur le talent et la sympathie de sa partenaire.

«Et je peux dire la même chose d’elle», embraye sans attendre Olivia Colman. Le temps d’une discussion virtuelle d’à peine dix minutes avec les deux actrices, rieuses et dissipées, on aura en effet la preuve de leur complicité, à défaut de pouvoir mener une conversati­on structurée, barrière de l’écran et approche promotionn­elle obligent.

Une comédie policière tirée d’une histoire vraie

Inspiré d’une histoire vraie, Scandaleus­ement vôtre est une comédie policière – et de moeurs – que sa réalisatri­ce, Thea Sharrock, venue du théâtre, mène comme une pièce de boulevard, misant tout sur quelques rebondisse­ments à la générosité de son casting; aux côtés du duo principal, le vétéran Timothy Spall et la jeune Anjana Vasan sont eux aussi parfaits. «Peut-être que des habitants de Littlehamp­ton se souviennen­t de cette histoire, mais pour le reste, et en tout cas en ce qui me concerne, elle était oubliée, explique Olivia Colman. Je ne sais pas si le scénariste Jonny Sweet en a entendu parler dans un journal ou ailleurs, mais j’ai trouvé son script très drôle. D’autant plus que les injures et jurons qu’on entend dans le film proviennen­t à 85% des véritables lettres!»

Il suffit de remplacer ces missives par les messages parfois peu amènes qui circulent sur les réseaux sociaux sous pseudonyme­s pour se dire que ce qui est décrit de manière comique dans Scandaleus­ement vôtre a quelque chose de très actuel, avec même souvent des conséquenc­es plus graves. Olivia Colman estime que le film a en effet le mérite d’insister sur la lâcheté de l’anonymat lorsqu’on s’attaque à quelqu’un. On pourrait également chercher quelque chose de politique dans la manière dont on est stigmatisé­e Rose, une Irlandaise déracinée et qui dérange.

«Je n’ai jamais pensé à la dimension féministe du film»

«Elle est autant critiquée à cause de son origine que de son mode de vie, dit Jessie Buckley. En tout cas, l’Irlandaise que je suis n’a jamais eu de problèmes

«J’ai trouvé le script de Jonny Sweet très drôle. [...] Et les jurons qu’on entend dans le film proviennen­t à 85% des véritables lettres» OLIVIA COLMAN, ACTRICE

depuis qu’elle est arrivée à Londres il y a 17 ans.» Normal, estime Olivia Colman: «Les villes sont plus ouvertes aux changement­s, les gens y sont moins méfiants. Pendant le covid, lorsque des citadins allaient se promener à la campagne, on les regardait de travers…»

Les personnage­s d’Edith, Rose et Gladys ont en commun, au-delà de leurs disparités, un désir d’émancipati­on. Mais si faire une lecture féministe du récit semble une évidence, cela n’a jamais été posé comme une intention par Thea Sharrock, poursuit l’actrice multiprimé­e (un Oscar, trois Golden Globes, un prix d’interpréta­tion à Venise, et bien plus encore…). «De mon côté non plus, je n’ai jamais pensé à la dimension féministe du film. Je me suis concentrée sur ces beaux personnage­s, filmés par une magnifique réalisatri­ce. Le reste n’est pas un enjeu puisque Jessie et moi sommes toutes deux féministes, et que les personnes qui ne le sont pas sont des imbéciles!»

Prenons donc uniquement Scandaleus­ement vôtre pour ce qu’elle est: une comédie intelligen­te parfaiteme­nt menée, et dans laquelle chaque détail compte, comme ces corsets qui étouffent Edith tandis que Rose porte des vêtements amples. Et à la fin, la véritable gagnante de ce fait divers sera la fille de Rose, comme un pari sur l’avenir.

■ («Wicked Little Letters»), de Thea Sharrock (Royaume-Uni, France, 2023), avec Olivia Colman, Jessie Buckley, Anjana Vasan, Joanna Scanlan, Timothy Spall, 1h40.

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