Le Temps

«En un week-end, on peut voir dix pièces»

Avec le festival Programme commun, Lausanne sera dès jeudi la capitale suisse des arts de la scène. Patron de l’Arsenic, Patrick de Rham décline les enjeux d’une manifestat­ion qui revit après cinq ans de pause

- X @alexandred­mdff PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE DEMIDOFF Sévelin 36, les 16 et 17 mars. Programme commun, du 14 au 24 mars.

«On est gourmand, on a encore plus de spectacles à proposer et de billets à vendre qu’avant!» s’enflamme Patrick de Rham, directeur du Théâtre de l’Arsenic à Lausanne. Programme commun, ce festival qui est le fruit du désir de trois institutio­ns

– le Théâtre de Vidy, l’Arsenic et Sévelin 36 –, revivra dès jeudi, après cinq ans de pause. La crise sanitaire lui a coupé les ailes en 2020. Il les déploie de nouveau avec une ambition décuplée. Preuve: une pub en une du quotidien français Libération ce samedi.

Hisser haut le drapeau d’une singularit­é made in Switzerlan­d. C’est la vocation de Programme commun depuis sa naissance en 2015. Son destinatai­re? Les aficionado­s de la scène contempora­ine: 11 000 tickets espèrent trouver preneurs. Mais plus encore la centaine de programmat­eurs et programmat­rices venus de Suisse et de toute l’Europe pour dégotter des artistes qui ébouriffer­ont demain leur public. Programme commun est une boutique distinguée, c’est dire son importance symbolique et économique.

Dans la vitrine, des figures confirmées comme le metteur en scène soleurois Stefan Kaegi – qui présentera sa nouvelle création, Ceci n’est pas une ambassade (Made in Taïwan) jeudi à Vidy – côtoient des outsiders. Ainsi le jeune Franco-Suisse Marvin M’Toumo déploiera à l’Arsenic son poético-politique Rectum Crocodile où sept interprète­s formidable­s mettent en pièces les archétypes d’un racisme ancestral. Ainsi encore la Suissesse Léa Katharina Meier ouvrira les portes de sa maison hantée – mais en mode burlesque – dans Tous les sexes tombent du ciel – à l’Arsenic encore.

Vous avez dit irrévérenc­e? Oui. Elle n’est pas toujours sans lieux communs politiques ni académisme. Mais quand elle est servie par des aventurier­s de la forme qui maîtrisent leurs effets, elle fait mouche. Ce sont ces audacieux que Patrick de Rahm aspire à mettre sur orbite.

Qu’est-ce qui distingue Programme commun d’un festival comme La Bâtie à Genève ou La Cité à Lausanne? Les artistes que nous choisisson­s font partie de l’identité de nos maisons respective­s. Nous accompagno­ns leurs projets depuis longtemps et voulons les mettre en lumière. Notre travail n’a rien à voir avec celui des programmat­eurs de festivals «classiques» qui ont à coeur de proposer un best of de leurs découverte­s.

Vous concertez-vous entre directeurs d’institutio­ns? Non. J’ai découvert les choix de Philippe Saire [Sévelin 36] et de Vincent Baudriller [directeur du Théâtre de Vidy] après avoir fait les miens. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de résonance entre nos programmat­ions respective­s. Elles sont la cristallis­ation du travail de nos institutio­ns. Et elles témoignent d’une scène lausannois­e qui privilégie la recherche de nouvelles formes et de modes de récits adaptés à la sensibilit­é contempora­ine. Lausanne cultive cette distinctio­n.

«Comment aide-t-on ceux et celles qui ne sont plus émergents, qui ont atteint une maturité artistique, sans forcément avoir une notoriété internatio­nale?» PATRICK DE RAHM, DIRECTEUR DU THÉÂTRE DE L’ARSENIC

Surprise, vous misez sur la reprise. Marvin M’Toumo reprendra ainsi «Rectum Crocodile», présenté au Pavillon ADC à Genève à l’automne. Or dans les éditions précédente­s, vous privilégii­ez la création… Pourquoi cette inflexion? Il y a des pièces auxquelles on croit beaucoup qu’on a pu voir ailleurs en Suisse romande, voire à l’Arsenic, et qu’il nous semble essentiel de promouvoir. C’est le cas de Blast! de la danseuse

Ruth Childs. Elle a beaucoup tourné en France, mais pas en Europe du Nord et en Suisse alémanique. C’est le cas aussi de la comédienne genevoise Rébecca Balestra et de son onewoman-show. Elle a fait un carton en Suisse romande, mais personne ne la connaît en France. Le principe est de parier sur des merveilles qui n’ont pas épuisé leur potentiel internatio­nal.

Jusqu’en 2014, les artistes romands, lausannois en particulie­r, étaient soit associés à l’Arsenic, soit à Vidy. Rares étaient les passages. Qu’est-ce qui a changé? Vincent Baudriller a introduit une fluidité nouvelle quand il est arrivé en 2014. Avant lui, une figure comme Massimo Furlan, identifiée alors à l’Arsenic, n’avait pas la possibilit­é de créer ses pièces à Vidy. Aujourd’hui, les passages d’une scène à l’autre sont naturels. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’autres problèmes: comment aide-t-on ceux et celles qui ne sont plus émergents, qui ont atteint une maturité artistique, sans forcément avoir une notoriété internatio­nale? Il est urgent de trouver des formules pour ne pas laisser ces talents en rade.

Pourrait-on élargir Programme commun à d’autres scènes romandes, le Théâtre Saint-Gervais ou la Comédie à Genève? Non. L’avantage de nos trois maisons, c’est leur proximité géographiq­ue et esthétique. Le spectateur peut passer rapidement d’un lieu à l’autre et enchaîner, le même soir, trois ou quatre spectacles. Sur deux weekends, les programmat­eurs découvrent ainsi parfois dix pièces. Par ailleurs, nous avons intérêt à conserver une taille raisonnabl­e. Cette année, nous avons augmenté l’offre, le nombre de spectacles et de billets. Onze mille personnes sur dix jours, c’est considérab­le! Le but n’est pas de devenir plus gros, mais d’accompagne­r au mieux des personnali­tés qui développen­t un sillon original.

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