Le Temps

Libération féminine sur fond d’après-guerre

L’actrice Paola Cortellesi mêle réveil féministe et nostalgie dans sa première réalisatio­n, «Il reste encore demain». Un triomphe au pays, mais plus difficile à avaler vu d’ici

- NORBERT CREUTZ Il reste encore demain

Film phénomène en Italie, où il a enregistré 5,5 millions d’entrées depuis sa présentati­on au Festival de Rome, Il reste encore demain, de Paola Cortellesi, est-il vraiment le film miracle annoncé, qui renoue avec le grand cinéma italien d’antan tout en parvenant à être clairement d’aujourd’hui? Fort de 18 000 entrées au Tessin, le distribute­ur local Morandini Film a en tout cas décidé pour une fois de se sortir les pouces et de tenter le coup au niveau national. On apprécie, tout en regrettant que ce ne soit pas pour un meilleur film. Généreux et plutôt original, c’est la réalisatio­n qui peine à enthousias­mer.

Un rôle à la Anna Magnani

L’idée d’un film situé dans l’immédiate après-guerre italienne et tourné en noir et blanc comme au bon vieux temps du néoréalism­e avait de quoi séduire. On y suit l’histoire de Delia (Cortellesi elle-même), épouse d’Ivano (Valerio Mastandrea) et mère de trois enfants, avec un vieux beau-père alité à la maison. Rome s’est retrouvée pauvre et les soldats américains surveillen­t encore les rues. Ivano ramène de l’argent en faisant le pilleur de tombes et Delia travaille comme couturière et infirmière à domicile tout en assurant le quotidien familial. Mais leur mariage a tourné au vinaigre et Ivano bat sa femme sans que personne ose intervenir. Lorsque leur fille Marcella trouve un amoureux de famille plus fortunée, il est décidé à la marier au plus vite. C’est alors que Delia «se réveille» enfin…

Cortellesi s’arroge là un rôle à la Anna Magnani ou – un peu plus tard – Sophia Loren. Les traits tirés et pauvrement attifée, elle est tout à fait convaincan­te en «mère Courage». Mais déjà moins en femme battue d’une brute caricatura­le. Histoire de désamorcer la violence et d’assumer la distance temporelle, la réalisatri­ce a aussi opté pour des séquences «musicales», sur des chansons plus récentes allant jusqu’au rap. Mais, là encore, manque le brio de mise en scène pour emporter le morceau. Quand elle filme une scène entre Delia et son amoureux (platonique) garagiste, avec musique à plein tube et caméra qui tourne autour d’eux, c’est franchemen­t gênant.

Il faudra aussi nous expliquer comment Delia s’entend avec William, un soldat afro-américain, pour organiser un coup de force alors qu’ils ne se comprennen­t pas! C’est à ce genre de détails (et il y en a beaucoup) qu’on sent le film approximat­if. Et ce n’est pas le final, joué comme un joker, qui nous aura convaincus. Pas de miracle… Actrice chevronnée d’une trentaine de films, dont nombre de comédies médiocres, avec ou sans son mari réalisateu­r Riccardo Milani, Cortellesi appuie trop ses effets. De sorte que sa comédie dramatique féministe ne trouve jamais la tonalité juste. Soit on fait La ciociara (Vittorio De Sica) ou Une Journée particuliè­re (Ettore Scola), soit Une Vie difficile (Dino Risi) ou Le Voleur de savonnette­s (Maurizio Nichetti). Entre deux ne reste que la facilité d’un succès acquis sur la base des meilleures intentions.

(C’è ancora domani), de et avec Paola Cortellesi (Italie, 2023), avec Valerio Mastandrea, Romana Maggiora Vergano, Emanuela Fanelli, 1h58.

 ?? (2024 18MONTHS S.R.L.) ?? L’héroïne de «Il reste encore demain», une mère Courage interprété­e par la réalisatri­ce et comédienne Paola Cortesi.
(2024 18MONTHS S.R.L.) L’héroïne de «Il reste encore demain», une mère Courage interprété­e par la réalisatri­ce et comédienne Paola Cortesi.

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