Le duel dont les Américains ne voulaient pas
Après avoir chacun éliminé la concurrence à l’intérieur de son parti, le duo le plus âgé de candidats jamais investis s’apprête à consacrer son énergie à son face-à-face décisif
Sauf événement imprévu, la présidentielle américaine de novembre opposera deux lutteurs fourbus rivalisant d’impopularité. Joe Biden, 81 ans – répéter cet âge n’atténue pas le surréalisme de la situation –, et Donald Trump, seulement quatre ans plus jeune, ont chacun obtenu mardi lors de primaires à sens unique le nombre de délégués nécessaires à leur investiture par leur parti. Leur intronisation sera officialisée lors des conventions des républicains en juillet et des démocrates en août.
En théorie, le président sortant usé par la vie et le pouvoir peut encore renoncer à ce moment-là. Son challenger pourrait lui aussi être remplacé, si, d’aventure, il était condamné pour ses nombreux méfaits. Mais rien n’indique de telles éventualités. Les deux candidats sont inséparables, chacun convaincu que son adversaire est le meilleur possible pour l’emporter et sauver les Etats-Unis de l’apocalypse.
Inéluctable depuis le début de l’année, cette revanche aurait pourtant paru farfelue après les élections de mi-mandat de novembre 2022, qui marquent le coup d’envoi de la campagne présidentielle. Le Parti républicain était prêt à tourner la page de Donald Trump. Mais l’ancien président a été relancé par ses inculpations. Il a imposé la thèse d’un acharnement judiciaire, capitalisant sur la défiance des institutions américaines sur fond de polarisation politique extrême.
Quant à Joe Biden, il se présentait comme un passeur de témoin à la nouvelle génération démocrate, même s’il n’a jamais promis qu’il ne se représenterait pas. L’attrait morbide du pouvoir et la personnalisation de la présidence ont empêché l’émergence d’alternatives, comme la vice-présidente, Kamala Harris.
A huit mois de l’élection de novembre, une éternité en politique, la plupart des sondages donnent Donald Trump gagnant. L’éventualité fait à juste titre frémir en Europe, alors que le tribun n’a que mépris pour les alliances traditionnelles de l’Amérique et admire les autocrates. Une seconde élection de Donald Trump à la Maison-Blanche ferait peser de lourdes menaces sur la démocratie américaine, déjà au bord de la rupture lors de l’attaque du Capitole le 6 janvier 2021.
Les Américains ne voulaient pas de ce nouveau duel. C’est pourtant bien le dilemme qu’ils auront devant eux le 5 novembre. Il s’agira d’un vrai choix entre deux visions du monde et de la place internationale des Etats-Unis. Des projets opposés mais incarnés par deux hommes, qui ne partagent que leur génération.
La campagne pour l’élection présidentielle de novembre aux Etats-Unis s’annonce atypique: deux hommes très âgés, en lice pour un poste qu’ils ont déjà chacun occupé, se livreront à ce qui devrait être l’un des plus longs face-à-face électoraux de l’histoire américaine.
Le président sortant démocrate Joe Biden, 81 ans, et son prédécesseur républicain Donald Trump, 77 ans, ont obtenu dès mardi au terme de primaires dans quatre Etats américains (Géorgie, Mississippi, Washington, Hawaï) assez de délégués pour s’assurer chacun l’investiture de son parti, selon des estimations de médias américains.
Les résultats étaient pratiquement acquis d’avance, les deux hommes – le duo le plus âgé de candidats jamais investis – ayant éliminé la concurrence. Joe Biden n’a jamais fait face à une opposition sérieuse et la dernière rivale de Donald Trump, Nikki Haley, a jeté l’éponge le 6 mars. Joe Biden a franchi le seuil des 1968 délégués nécessaires en remportant la primaire démocrate de Géorgie (Sud). Et Donald Trump, grâce à sa victoire dans l’Etat de Washington (Nord-Ouest), a dépassé la barre des 1215 délégués nécessaires.
Alors que les deux hommes s’apprêtent à refaire le match de 2020, ils ont échangé des mots durs, donnant le ton à une campagne qui promet d’être âpre pendant presque huit mois.
«Le pire président de l’histoire de notre pays»
«Je suis honoré que la large coalition de votants représentant la riche diversité du Parti démocrate à travers le pays aient placé leur foi en moi une fois encore pour conduire le parti – et le pays – à un moment où la menace que constitue Trump est plus grande que jamais», a déclaré Joe Biden.
Si la réinvestiture précoce d’un président sortant est la norme, la victoire de Donald Trump dans quasiment toutes les primaires républicaines à ce jour lui a permis de s’assurer l’investiture bien plus tôt que la plupart des candidats d’opposition lors des précédentes campagnes. De multiples poursuites judiciaires dont le candidat républicain fait l’objet n’ont pour le moment pas entravé sa campagne. Il a assuré dans un communiqué de victoire que le Parti républicain restait fort et uni derrière lui. «Nous devons maintenant nous remettre au travail parce que nous avons le pire président de l’histoire de notre pays – son nom est Joe Biden le véreux – et il doit être vaincu», a déclaré Donald Trump dans une vidéo diffusée sur X. «Notre pays décline, nous sommes un pays en grave déclin. Nous sommes considérés presque comme une blague», a-t-il poursuivi. «Nous devons gagner et nous devons gagner avec une large avance parce qu’il n’y a jamais eu quelqu’un de pire pour faire le travail que Joe Biden.»
D’ici au scrutin du 5 novembre, les deux candidats pourront désormais consacrer toute leur énergie à leur face-à-face.
Bras de fer autour de la Géorgie
Donald Trump fait campagne en s’opposant frontalement à la politique de Joe Biden en matière d’immigration, l’accusant d’avoir transformé en passoire la frontière sud des Etats-Unis. Mais c’est aussi à la demande de Trump qu’une loi sur l’immigration, négociée durant des mois par les deux partis, a finalement été rejetée par les républicains au Congrès. La question est devenue particulièrement sensible en Géorgie où le meurtre d’une étudiante américaine par un Vénézuélien en situation irrégulière a été mis en avant par le camp républicain.
Donald Trump en a fait le symbole de la politique d’immigration de Joe Biden, qu’il accuse d’être trop laxiste face aux nombreuses arrivées à la frontière avec le Mexique.
Il faut rappeler qu’en 2020 la Géorgie, Etat traditionnellement républicain, avait à la surprise générale voté démocrate, contribuant de façon décisive à la victoire de Joe Biden. Donald Trump avait fait pression sur des responsables électoraux locaux, leur demandant de «trouver» le nombre de voix nécessaire pour combler son retard.
L’ancien président a été inculpé dans ce dossier et a fait de sa photo d’identité judiciaire (le fameux mugshot), pris dans la capitale Atlanta, un article de campagne. Mercredi, le juge au procès du candidat républicain et de ses 14 coprévenus en Géorgie pour tentatives illégales d’inverser les résultats de l’élection de 2020 a annulé plusieurs chefs d’accusation secondaires. Il a rejeté en revanche leur recours concernant d’autres chefs d’accusation.
Les six chefs d’accusation annulés portent sur des faits d’incitation d’élus à violer leur serment. Cette décision intervient alors que le juge doit statuer cette semaine sur la demande de dessaisissement de la procureure qui instruit ce dossier, Fani Willis. Les prévenus invoquent un conflit d’intérêts en raison de sa relation intime avec un enquêteur qu’elle a engagé dans cette affaire.
Quoi qu’il en soit, la Géorgie risque d’être de nouveau décisive en novembre, l’écart entre les deux candidats y étant très serré, selon les sondages. Les deux hommes y ont tous deux mené campagne. Dans l’élan d’un discours particulièrement pugnace devant le Congrès jeudi, Joe Biden s’est rendu à Atlanta pour tenter de mobiliser l’électorat afro-américain et hispanique.
Donald Trump s’est livré dans une imitation d’un Joe Biden bégayant, moquant comme il le fait régulièrement la forme mentale et physique qu’il juge défaillante de son concurrent. La Pennsylvanie, le Michigan, l’Arizona, la Caroline du Nord, le Wisconsin et le Nevada figurent parmi les autres Etats potentiellement décisifs en novembre, ce que les Américains appellent les «swing states». D’ailleurs, sans attendre, Joe Biden a mis le cap sur la région des Grands Lacs: il s’est rendu mercredi à Milwaukee, dans l’Etat du Wisconsin, avant Saginaw dans le Michigan ce jeudi. Cette circonscription ouvrière, historiquement démocrate, avait voté pour Donald Trump en 2016, puis, à une très mince majorité, pour Joe Biden en 2020. De quoi laisser les pronostics ouverts.
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