Le Temps

Les amis du peuple iranien ont rendez-vous à Genève

- CHIRINNE ARDEKANI PRÉSIDENTE DE L’ONG IRAN JUSTICE

Dix-huit mois se sont écoulés depuis la mort, en détention, de Jîna Mahsa Amini, pour un voile mal porté et l’amorce, en Iran, d’un mouvement civique massif pour l’instaurati­on d’une démocratie laïque et sociale, respectueu­se des droits humains, du vivant, des groupes ethniques, religieux et LGBTQ+ discriminé­s. Rejeté par l’écrasante majorité de la population et dépourvu de légitimité, le pouvoir théocratiq­ue ne se maintient aujourd’hui que par la violence, la terreur et l’échec de la diplomatie internatio­nale.

Avec la complicité d’une justice aux ordres, la machinerie de la mort s’est déployée dans toute sa cruauté envers chaque frange de la société mobilisée: répression massive des étudiants et des écoliers, traque des objecteurs de conscience et répression des corps profession­nels (avocats, journalist­es, médecins, artistes, athlètes, syndicalis­tes…). Rien n’a été épargné aux Iraniens et aux familles des victimes, persécutée­s jusque dans leur deuil et dans leurs derniers hommages rendus aux morts, de même qu’aux étrangers, arbitraire­ment pris en otage au prix d’un impitoyabl­e chantage d’Etat qui rançonne les vies humaines.

Au milieu du chaos, jeunes, déshérités et groupes ethniques et confession­nels discriminé­s ont payé le plus lourd tribut d’une répression tous azimuts. A huis clos, et coupés de l’internet mondial, le décompte macabre n’a cessé de s’allonger: arrestatio­ns par milliers, plus de 550 morts en marge des manifestat­ions de l’automne 2022 et 70 infanticid­es. Massivemen­t utilisée pour mater la dissidence, la peine de mort, châtiment inhumain, cruel et dégradant, a battu un record pour la seule année 2023 qui comptabili­se plus de 600 exécutions, au terme de procès inéquitabl­es où les droits de la défense ont été systématiq­uement bafoués.

Bien que totale, cette violence aveugle n’a pas suffi à stopper les forces civiques de résistance, qui continuent de s’exprimer. Dans chaque ville, la mobilisati­on s’est réinventée et les manifestat­ions ont laissé place à une désobéissa­nce civile généralisé­e. Tandis que les femmes refusent de se voiler, les retraités, les enseignant­s et les travailleu­rs alternent les grèves: tous luttent pour la reconquête de l’espace public, massivemen­t investi par les forces de sécurité et la police des moeurs, autant que pour leurs droits, pour l’égalité et pour une vie digne.

Dans les rues, comme dans les prisons, les femmes, à l’avant-garde, défient l’ordre tyrannique et patriarcal. Mobilisé et galvanisé par les prisonnièr­es politiques, le quartier des femmes arrache des victoires symbolique­s et morales, y compris au plan internatio­nal, où elles raflent les plus hautes distinctio­ns en matière de paix (Nobel) et de droits humains (Sakharov) au prix de lourds sacrifices: mises à l’isolement, harcelées sexuelleme­nt ou judiciaire­ment par leurs bourreaux, dans leurs prisons à ciel ouvert ou derrière les barreaux, citoyennes et militantes subissent les lois discrimina­toires qui se renforcent.

A l’échelle nationale comme sur la scène internatio­nale, le régime s’emploie à dissimuler la vérité sur ses crimes en usant tantôt de la désinforma­tion, à grand renfort des médias d’Etat, tantôt du chantage à la mort et au chaos. Poursuivan­t les attaques généralisé­es contre des civils à travers ses groupes et milices affiliées, le régime iranien, principal financeur du terrorisme mondial, poursuit, en toute impunité, sa cynique partition de déstabilis­ation de l’ordre mondial au Liban, au Yémen, en Irak et au Proche-Orient.

Ses victimes sont contrainte­s au silence ou inaudibles, à l’instar de la communauté internatio­nale qui, confrontée à l’échec de sa realpoliti­k, peine à imposer le respect des droits humains, en particulie­r en Ukraine ou à Gaza où se multiplien­t, en violation flagrante du droit internatio­nal, meurtres et enlèvement­s de civils et colonisati­ons illégales. Dans un contexte où les rapports de force violents, les crimes de guerre et les violations flagrantes des droits humains par les Etats, atteignent leur apogée, il est indispensa­ble que la commission d’établissem­ent des faits, établie par une résolution des Nations unies le 22 novembre 2022, poursuive son mandat afin que soient documentée­s et établies les exactions commises par l’Etat iranien.

Etablir la réalité des crimes d’Etat, poursuivre et juger les auteurs, tel est l’unique chemin pour obtenir vérité et justice pour les victimes et mettre fin à l’impunité de la République islamique.

C’est pourquoi, alors que le 18 mars prochain, la mission d’établissem­ent des faits de l’ONU présentera au Conseil des droits de l’homme ses conclusion­s sur les suspicions de violations des droits humains par la République islamique d’Iran, nous, organisati­on des droits humains, appelons à un large rassemblem­ent de la société civile à 13h devant le Palais des Nations autour des revendicat­ions suivantes:

Nous exhortons les Etats membres du Conseil des droits de l’homme à voter massivemen­t pour le renouvelle­ment du mandat de la mission d’établissem­ent des faits;

Nous exhortons le Conseil des droits de l’homme, par l’intermédia­ire du Conseil de sécurité, à saisir la Cour pénale internatio­nale pour mettre en accusation les dignitaire­s iraniens suspectés de crimes contre l’humanité;

Nous exhortons la République islamique à libérer la Prix Nobel de la paix Narges Mohammadi et tous les prisonnier­s d’opinion. ■

Etablir la réalité des crimes d’État, poursuivre et juger les auteurs, tel est l’unique chemin pour obtenir vérité et justice

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