Le Temps

Recherche fiscaliste, désespérém­ent

- ALEXIS FAVRE PRODUCTEUR D’«INFRAROUGE» (RTS)

Résumons: 5 milliards par an pour la 13e rente, une petite trentaine pour l’armée d’ici à 2018, et peut-être, bientôt, qui sait, 2 milliards de plus pour plafonner les primes. Le tout avec 2 ou 3 milliards à économiser sur les dépenses courantes. Subitement, le budget fédéral en tilt est de retour à la table des préoccupat­ions.

D’ordinaire, si tant est qu’il y ait un ordinaire, le ménage fédéral se tient plutôt tranquille. A Berne, le frein veille, les vaches sont toujours à peu près bien gardées et le sujet, en fait assez lointain, ne tient pas plus en haleine qu’il n’empêche de dormir. Mais là, nouvelle salle, nouvelle ambiance, Houston a un problème. Il faut trouver de l’argent quelque part. Impératif assez vulgaire et anxiogène pour mériter toute notre attention.

Urgemment pour les uns, beaucoup moins pour les autres, ici pour d’autres encore, pourquoi pas là, mais surtout pas chez moi, il faudra trouver de quoi payer. Et choisir tous ensemble à qui envoyer la facture.

Nos rythmes politiques sont mal réglés. Il y a dix ans, les comptes et la Confédérat­ion ne figuraient pas à l’éventail de nos angoisses, et nous ne parlions que d’impôt. Réforme fiscale par-ci, réforme fiscale par-là, les succession­s, les entreprise­s, la transparen­ce, les évadés, les multinatio­nales: l’impôt était au centre de tous les projets, alors que tout allait bien.

Aujourd’hui, le Trésor public panique, mais personne ne semble vouloir ouvrir la boîte à outils. Il faudrait augmenter la TVA, nous dit-on. Ou les cotisation­s sociales. Ou «les impôts». Parmi les plus hardis, c’est vrai, certains osent une nouvelle taxe sur les transactio­ns financière­s, comme une bouteille à la mer. Ou alors éventuelle­ment les succession­s, sans plus de conviction.

Les années 2010, en Suisse, ont fabriqué une armée de connaisseu­rs de la chose fiscale. Des technicien­s comme des architecte­s. Parfois des esthètes, j’en ai connu plus d’un, dans plusieurs registres. Celui qui a toujours un coup d’avance sur le percepteur. Ou celui que le système parfait obsède, en quête inavouée du nombre d’or fiscal. Ils avaient des idées, ils avaient voix au chapitre, ils proposaien­t.

L’agenda était plus théorique qu’existentie­l. C’était avant la guerre, avant la pandémie, avant l’inflation, avant les réfugiés, avant Gaza, avant l’intelligen­ce artificiel­le, avant tout ce qui nous obsède. Et pourtant nous avions compris, parce que c’était à l’ordre du jour, qu’il pourrait être pertinent de s’intéresser de près à l’impôt.

Je ne suis pas sûr d’avoir l’impôt aussi heureux que Pascal Broulis, mais comme lui je me suis laissé séduire depuis longtemps par le charme et la puissance organique de l’impôt. Organique, oui, parce que l’impôt fait mal, et l’impôt dû fait du bien. Il est le passage obligé au guichet de la vie à plusieurs, le ticket d’entrée de chacun dans la civilisati­on. Il est aussi, et surtout, la feuille de route de tous les projets. Parce que concevoir un système fiscal, ce n’est rien d’autre que définir la mécanique souhaitée d’un groupe humain en mouvement uniforméme­nt frictionne­l. En l’occurrence, la Suisse. Et plus trivialeme­nt, choisir qui doit payer quoi et quand pour faire tourner le ménage commun aussi rond que possible.

J’ai cru comprendre dimanche qu’une majorité de Suisses ne trouvaient plus leur compte dans le contrat tacite que leur proposait jusqu’ici notre économie florissant­e. Inflation et appauvriss­ement général d’un côté, concentrat­ion des richesses et accroissem­ent des inégalités de fortune de l’autre: le peuple a dit stop, nous dit-on. Le ruissellem­ent ne ruisselle plus, l’heure du correctif a sonné.

Si c’est vrai, si le système est en panne ou s’en approche, peut-être nous dit-il qu’il a besoin d’autre chose qu’une hausse de point de TVA ou de nouvelles cotisation­s salariales. Peut-être est-il en train d’appeler les mécanos à la rescousse, pour une révision plus complète de la machine.

Imposer les gains en capitaux plutôt que la fortune? Empoigner plus sérieuseme­nt le tabou des succession­s? Soulager d’une manière ou d’une autre les revenus du travail, celui qui ne paie plus? Je n’ai pas la martingale. Mais ceux qui avaient des choses à dire il y a dix ans ont peut-être gardé, eux, quelques bonnes idées dans leurs tiroirs.

Suisse recherche fiscaliste­s désespérém­ent. Et si c’était ça, le message du 3 mars? ■

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