Avant la présidentielle russe, les opposants en exil craignent une vague de répression
L’agression de l’ancien bras droit d’Alexeï Navalny à Vilnius, quelques jours avant le scrutin, est vue comme un avertissement par les opposants russes en exil. Ils ont néanmoins maintenu leur appel à participer à l’action «A midi contre Poutine» le 17 mars en Russie
Mardi 12 mars, le journal d’opposition Meduza, dont les journalistes travaillent depuis Riga, en Lettonie, s’était brièvement entretenu avec Leonid Volkov, l’emblématique ancien bras droit d’Alexeï Navalny. A la question sur les risques auxquels étaient confrontés les membres de l’équipe de l’opposant depuis sa mort en prison, le 16 février dernier, il a répondu assez sèchement. «Le principal risque? C’est qu’ils nous tuent, les uns après les autres. Cela me semble évident, non?» Le soir même, Leonid Volkov était violemment agressé devant le garage de sa villa, dans un quartier paisible de Vilnius, en Lituanie, par un homme qui l’attendait, armé d’une bombe lacrymogène et d’un marteau. «Il a voulu faire de moi un steak haché», a résumé le lendemain Leonid, avec le même humour noir.
La «voyoutocratie» en action
Cet opposant de 43 ans s’en est plutôt bien tiré. Un bras cassé, des dizaines d’hématomes, une jambe en sang miraculeusement restée intacte et une certitude: dans cette agression, il a vu un avertissement adressé par Vladimir Poutine lui-même. «Dans le pur style de la voyoucratie de Saint-Pétersbourg dont il est issu», a-t-il poursuivi en référence à la jeunesse du président dans la capitale du nord russe.
Cette affaire est prise très au sérieux dans les milieux d’opposants russes en exil et beaucoup y ont vu le signal du début d’une véritable chasse à l’homme à quelques jours du scrutin présidentiel dans leur pays. «La grande terreur d’un petit dictateur a commencé. Militants, journalistes et autres libres penseurs, soyez prudents. N’ayez pas peur, mais soyez prudents. Ne facilitez pas la tâche aux voyous sans cerveau», a lancé, en russe, sur son compte X, l’ancien enquêteur de Bellingcat, Hristo Grozev qui travaille avec l’équipe de Navalny.
Depuis leur exil à Riga, les journalistes de Meduza ont aussitôt publié un guide, pays par pays, des risques encourus. S’y
«Le principal risque? C’est qu’ils nous tuent, les uns après les autres. Cela me semble évident, non?» LEONID VOLKOV, OPPOSANT RUSSE
dessine, en creux, la nouvelle géographie de la diaspora russe à l’étranger depuis l’invasion de l’Ukraine. Asie centrale, pays baltes et du Golfe, Balkans, Turquie, Arménie, Géorgie… Dans bon nombre de ces destinations, les risques d’extradition vers Moscou sont élevés et les agents russes très actifs sur leur sol, met en garde Meduza.
La veille de l’agression contre Leonid Volkov, le journal avait également tenu à informer ses lecteurs d’un autre type de danger auquel le titre est confronté depuis quelques jours: des attaques de hackers massives contre l’infrastructure de Meduza. Ses sites miroirs – qui lui permettent de contourner le blocage en Russie – ses comptes sur les réseaux sociaux, son système de financement par dons et jusqu’à ses reporters, dont les boîtes électroniques sont submergées de spams de tentatives d’hameçonnage. «Nous n’avions jamais vu ça», disent-ils en accusant le Kremlin de vouloir «tuer» leur publication, «tout comme Alexeï Navalny».
Vers un «shutdown» d’internet
Plus grave encore, dans cette attaque contre leur journal, ils voient le prélude d’une opération beaucoup plus vaste en Russie même, n’hésitant pas à parler d’un shutdown d’internet et des moyens de communication dans le pays autour des élections. Un scénario apocalyptique, certes, mais auquel il faut se préparer, concluent les journalistes de Meduza, en enjoignant aux lecteurs de continuer à s’informer, par tous les moyens possibles. «Cela peut sauver des vies et la liberté en ce moment même.»
Pour ce qui est de ces élections, déjà présentées comme un nouveau plébiscite pour Vladimir Poutine, l’équipe de Navalny a maintenu son appel à l’intention de ses sympathisants en Russie à se présenter, le 17 mars à midi pile, dans les bureaux de vote. Ils peuvent, au choix, voter pour «n’importe quel candidat sauf Poutine», gribouiller un message sur le bulletin – «Navalny», par exemple, a dit sa veuve, Yulia – ou emporter le bulletin à la maison. «L’important est que nous soyons là, nombreux et forts», a-t-elle poursuivi, en rappelant qu’Alexeï lui-même tenait à cette action baptisée «A midi, contre Poutine». Une initiative aujourd’hui soutenue par les principaux opposants russes en exil. Par contre, ceux restés en Russie, comme Boris Nadejdine et Ekaterina Dountsova, hésitent à se joindre au mouvement. On peut les comprendre.
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