Le Temps

Robert Hur entre deux feux

- X LÉO TICHELLI, SAN FRANCISCO @TichelliL

«J’ai dû tenir compte de la mémoire et de l’état mental général du président»

ROBERT HUR, EX-PROCUREUR SPÉCIAL

L’ex-procureur spécial est passé sur le gril devant la Chambre des représenta­nts pour expliquer son rapport sur les documents classifiés retrouvés chez le président. La droite lui reproche de ne pas avoir engagé de poursuites, la gauche l’attaque sur ses remarques sur la mémoire de Joe Biden

Robert Hur a réussi l’exploit de se mettre l’entièreté de la classe politique américaine à dos grâce à son rapport et à sa conclusion qui ne plaît définitive­ment à personne. L’ancien procureur spécial a supervisé l’enquête sur la rétention par Joe Biden de documents classifiés, retrouvés dans le garage de sa maison de Wilmington, dans le Delaware. Dans ces cartons: des informatio­ns sensibles, notamment sur l’Afghanista­n, remontant à la période où il était vice-président sous le mandat de Barack Obama, de 2009 à 2017.

L’ancien procureur des EtatsUnis pour le district du Maryland est donc passé devant le Congrès ce mardi pour expliquer les conclusion­s de son enquête qui n’ont débouché sur aucune poursuite mais sur une phrase choc qui a grandement embarrassé les démocrates, qualifiant Joe Biden d’«homme âgé, bien intentionn­é et à la mémoire défaillant­e» et aux «facultés amoindries par l’âge». Les démocrates voient dans ce rapport des conclusion­s politiquem­ent motivées pour faire apparaître Joe Biden comme inapte à gouverner, à seulement quelques mois de l’élection présidenti­elle du 5 novembre et alors qu’il vient de décrocher l’investitur­e démocrate en remportant la primaire de Géorgie.

Deux poids deux mesures?

L’élu démocrate de Géorgie Hank Johnson s’en est notamment pris à Robert Hur, enregistré en tant que républicai­n, l’accusant «de faire tout son possible pour que le président Trump soit réélu afin de pouvoir être nommé juge fédéral ou peut-être à un autre poste au sein du Ministère de la justice». L’ancien procureur spécial a défendu son impartiali­té, estimant que la descriptio­n étendue de ses défaillanc­es cognitives était nécessaire à la bonne appréciati­on du dossier: «J’ai dû tenir compte de la mémoire et de l’état mental général du président et de la manière dont un jury percevrait probableme­nt sa mémoire […] dans un procès pénal», s’est-il fendu, argumentan­t encore que, «parce que ces questions étaient importante­s pour ma décision finale, je me devais d’en parler dans mon rapport.»

Les élus du Grand Old Party reprochent au contraire à Robert Hur d’avoir épargné le locataire de la Maison-Blanche alors que leur champion Donald Trump, qui a lui aussi décroché l’investitur­e de son parti dans la nuit, fait actuelleme­nt face à 40 chefs d’accusation pour le même genre de faits, à savoir d’avoir délibéréme­nt conservé des documents sensibles relatifs à la sécurité nationale dans sa demeure de Mar-a-Lago en Floride. Deux poids, deux mesures, selon les républicai­ns, qui l’ont fait savoir par la voix de l’élu de Californie Tom McClintock, se moquant des conclusion­s du rapport: «Tout ce que j’ai à faire quand on me surprend à ramener chez moi des documents classifiés, c’est de dire: «Je suis désolé, M. Hur, mais je me fais vieux. Mes souvenirs ne sont pas si bons?»

Sur une fine ligne de crête

Robert Hur est constammen­t resté sur une fine ligne de crête, accusé de part et d’autre dans ce qui s’est finalement apparenté à une passe d’armes entre démocrates et républicai­ns. Les premiers ont tenté de faire dire à l’ex-procureur spécial que Biden avait été disculpé des charges qui pèsent contre lui – «ce n’est pas un mot que j’ai utilisé dans mon rapport», s’est défendu Robert Hur – et de pointer du doigt les dissemblan­ces entre le cas Trump, bien plus grave selon eux, du cas Biden. Le camp démocrate a également montré un florilège de séquences vidéo où l’on voit le milliardai­re bafouiller, ne pas se souvenir de sa date de mariage ou présenter Viktor Orban comme le dirigeant de la Turquie, afin de montrer que le locataire de la Maison-Blanche n’a pas le monopole de la défaillanc­e cognitive.

Les républicai­ns ont profité de ce moment pour enfoncer le clou sur la prétendue sénilité du locataire de la Maison-Blanche. Là aussi, Robert Hur est resté ferme, affirmant que «cette conclusion ne figure pas dans mon rapport». Autre tentative: minimiser les charges qui pèsent contre Donald Trump en les comparant aux cartons retrouvés chez Joe Biden. Sauf que «le cas Wilmington» diffère de celui de «Mar-a-Lago» sur plusieurs points, premièreme­nt sur la quantité et le type d’objets retrouvés, soit une dizaine de documents classifiés chez le candidat démocrate, contre 184 chez le candidat républicai­n, dont 67 «confidenti­els», 92 «secrets» et 25 «top secret». Après les premières découverte­s, Biden a aussi collaboré avec la justice, tandis qu’il a fallu émettre un mandat pour perquisiti­onner la maison de Donald Trump, ce dernier déclarant la fouille comme «la pire politisati­on de la justice dans notre pays», et qu’il pouvait déclassifi­er des documents rien qu’en y pensant.

Finalement, chaque camp va certaineme­nt capitalise­r sur ce qui arrange sa propre campagne sans parvenir à tirer bien plus de cette enquête que ce qu’elle avait déjà révélé. Le Grand Old Party va continuer à dépeindre Joe Biden comme un criminel qui échappe à la justice uniquement grâce à sa sénilité et les démocrates vont continuer à pointer du doigt Donald Trump comme le seul candidat actuelleme­nt visé par des chefs d’accusation.

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(WASHINGTON DC, 12 MARS 2024/CHIP SOMODEVILL­A/GETTY IMAGES VIA AFP) Robert Hur s’apprête à témoigner devant la Commission judiciaire de la Chambre des représenta­nts.

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