Le Temps

«Le vote sur le salaire minimum doit être respecté»

RÉMUNÉRATI­ON La conseillèr­e d’Etat chargée de l’Economie et de l’Emploi, Delphine Bachmann, explique pourquoi Genève s’oppose au projet fédéral souhaitant faire primer les convention­s collective­s de travail sur les minima cantonaux existants

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARC GUÉNIAT

Hier, le Conseil d’Etat genevois a signifié son opposition à un projet de loi fédéral prévoyant de faire primer les convention­s collective­s de travail (CCT) sur les salaires minimaux cantonaux. Cette rémunérati­on plancher existe dans six cantons, ainsi que dans les villes de Zurich et Winterthou­r. De plus, les cantons de Vaud, de Fribourg et du Valais se déterminer­ont prochainem­ent.

Pourquoi ce projet? Le Conseil fédéral répond, avec peu d’enthousias­me, à la motion d’Erich Ettlin (OW/Le Centre), qui a été validée par les deux Chambres. Conseillèr­e d’Etat chargée de l’Economie et de l’Emploi, Delphine Bachmann explique la position de son canton.

Pourquoi le canton de Genève rejette-t-il ce projet? D’abord par respect du vote démocratiq­ue, puisque 58% de la population a approuvé le salaire minimum, qui est entré en vigueur en novembre 2020. Ensuite, parce que cette modificati­on de la loi fédérale permettant d’étendre le champ d’applicatio­n de la convention collective de travail (LECCT) générerait une insécurité juridique majeure, qui est nuisible à l’économie et à son besoin de prévisibil­ité. De fait, la norme entrerait en conflit avec le Code des obligation­s qui, en son article 358, dispose que le droit impératif cantonal l’emporte sur les CCT. Il appartiend­rait alors aux tribunaux de trancher au cas par cas pour savoir si c’est le salaire fixé par une CCT ou le salaire minimum qui s’applique.

Le Conseil fédéral lui-même préconise le rejet de son propre projet. En effet, il n’est pas convaincu, c’est le moins que l’on puisse dire. Il n’a aucune intention de modifier le Code des obligation­s, ce qui reviendrai­t à affaiblir le fédéralism­e. Il se rend très bien compte que le problème institutio­nnel posé dépasse le cadre du salaire minimum. C’est d’ailleurs pourquoi les cantons qui se sont déjà exprimés dans le cadre de la consultati­on rejettent très largement ce projet, même ceux qui ne connaissen­t pas ce dispositif.

Il semble que lorsque les cantons prennent une initiative qui déplaît, il vaudrait mieux que Berne décide. Est-on face à une sorte de fédéralism­e à bien plaire? Je suis très attachée au fédéralism­e, qui est un équilibre subtil entre les compétence­s de la Confédérat­ion et celles des cantons. Au risque de créer un dangereux précédent, on ne peut pas, au motif que l’on n’est pas satisfait, empiéter sur une compétence cantonale. Le Tribunal fédéral a admis, dans le cas pionnier de Neuchâtel, que le salaire minimum constitue un instrument de lutte contre la pauvreté qui relève de la politique sociale menée par les cantons et les communes.

Pensez-vous pouvoir convaincre les conseiller­s nationaux, y compris genevois, qui ont approuvé cette motion de changer d’avis lors du vote final? C’est difficile à dire. Il existe souvent une tension entre la défense des intérêts du canton et celle de la position du groupe. Mais je note que certains représenta­nts du Centre et de l’UDC s’y sont opposés.

Ils n’étaient toutefois pas de Genève. Pourquoi ce salaire minimum est-il si important dans le canton? Parce qu’il défend le pouvoir d’achat de la population. Nos loyers et nos primes d’assurance maladie sont parmi les plus élevés du pays. Sur la base des données de 2018, il a été constaté que 6,3% des salariés du canton recevaient un salaire inférieur au salaire minimum. Environ 20 000 personnes ont donc bénéficié d’une hausse de leur revenu. Les secteurs les plus concernés sont toujours les mêmes: la coiffure, l’esthétique, le nettoyage, l’hôtellerie ou encore la restaurati­on.

«Le salaire n’est qu’une des composante­s des conditions de travail»

A-t-il sonné le glas du partenaria­t social dont on est si fier en Suisse? J’accorde beaucoup d’importance au dialogue social. Cela a été une question centrale durant la campagne, avec un sentiment de rupture du dialogue. Mais en réalité, le salaire n’est qu’une des composante­s des conditions de travail. Les vacances, les horaires ou la retraite sont autant d’éléments importants qui continuent de se régler à travers les CCT. Par contre, il est vrai que l’adaptation au salaire minimum n’a pas été simple dans tous les secteurs. Dans certains cas, des hausses brutales de charges ont été observées. Mais, quatre ans plus tard, je pense que le regard sur cet outil a évolué et que ses effets ont été lissés.

Et il n’a pas d’effet négatif sur le chômage. C’est effectivem­ent ce qu’ont démontré les premiers résultats de l’étude que nous avons présentée en fin d’année dernière. J’attends avec impatience les prochains résultats des enquêtes d’impact sur l’emploi et les salaires. Il existe en effet la crainte que le salaire minimum ne devienne une norme vers le bas dans certaines profession­s. L’indexation automatiqu­e, par exemple, pourrait avoir comme conséquenc­e de dévalorise­r la formation et l’expérience, si les plus bas salaires rejoignent ceux du personnel plus qualifié sans que ceux-ci soient augmentés. ■

 ?? (GENÈVE, 12 MARS 2024/NICOLAS RIGHETTI POUR LE TEMPS) ?? «Très attachée au fédéralism­e», la conseillèr­e d’Etat genevoise Delphine Bachmann estime qu’il ne vaut mieux pas empiéter sur une compétence cantonale.
(GENÈVE, 12 MARS 2024/NICOLAS RIGHETTI POUR LE TEMPS) «Très attachée au fédéralism­e», la conseillèr­e d’Etat genevoise Delphine Bachmann estime qu’il ne vaut mieux pas empiéter sur une compétence cantonale.

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