Entre le rail et la route, quand la paix des transports vacille
MOBILITÉ Alors que des débats cruciaux ont lieu à Berne, la concurrence entre les modes de transport est rude. Pour le TCS, le référendum de la gauche contre l’extension du réseau autoroutier constitue une véritable «déclaration de guerre»
X«Info trafic RTS, en collaboration avec les CFF et le TCS»: les auditeurs de La Matinale, sur la 1re, connaissent bien cette rengaine qui incarne à elle seule la complémentarité en matière de mobilité en Suisse. Mais sur le terrain, la concurrence est de plus en plus vive entre le rail et la route, alors que des débats autour d’investissements décisifs ont lieu à Berne. Après des années d’apaisement, la guerre des transports est-elle de retour?
Le référendum de la discorde
Un réseau saturé qui mérite d’être agrandi, des infrastructures vétustes qui nécessitent d’être entretenues: qu’il s’agisse de plaider la cause du train ou celle de la voiture, les arguments des élus sont les mêmes sous la Coupole. Après des décennies tournées vers la route, plusieurs mesures ont été introduites ces dernières années pour tenter de rétablir un équilibre sur le plan financier.
La création d’un fonds d’infrastructure ferroviaire (FIF), voté en 2014 et financé, entre autres, par l’impôt autoroutier, puis d’un fonds pour les routes nationales et le trafic d’agglomération (Forta), en 2017, a contribué à sceller la «paix des transports», le Conseil fédéral ayant désormais deux sources de financement distinctes pour faire avancer les projets.
Mais sur le terrain, la mobilité est récemment (re) devenue une arène brûlante où s’affrontent les défenseurs de la voiture ou du train, mais aussi des vélos, des motos ou encore des piétons. En modifiant les habitudes de travail et de déplacements, la pandémie a aussi changé le rapport de force entre les différents modes de transports, encore exacerbé par le réchauffement climatique. On a vu l’émoi qu’ont suscité les pistes cyclables dessinées durant la nuit au centre-ville de Genève en 2020. Conçues comme provisoires, elles ont été pérennisées, au grand dam de la section genevoise du Touring Club Suisse (TCS) qui a fait recours jusqu’au Tribunal fédéral.
Plus récemment, c’est la décision du nouveau ministre des Transports Albert Rösti d’investir 13 milliards de francs dans les infrastructures routières pour 2024-2027 qui a fâché la gauche. Le projet comprend notamment l’élargissement de six tronçons d’autoroutes en Suisse alémanique et en Suisse romande, dont 17 km sur l’A1 entre Le
Le chantier d’agrandissement de la gare de Lausanne fait du surplace, et celui de Genève a encore été repoussé
Vengeron et Nyon. Au nom de la protection du climat, l’Association transports et environnement (ATE), soutenue par la gauche, a déposé un référendum contre ce qu’elle qualifie de «folie autoroutière». La population aura donc le dernier mot, lors d’un vote qui sera organisé en fin d’année.
Pour le TCS, la démarche de l’ATE constitue une véritable déclaration de guerre. «Ce référendum est porté par une vision idéologique de la mobilité, selon laquelle le train est bon et la voiture mauvaise. Ce concept ne tient pas à l’heure où la mobilité individuelle motorisée devient propre, silencieuse et sûre. Il est aussi clair qu’un report modal complet de la route vers le rail est tout simplement illusoire», estime le président du TCS Peter Goetschi, qui affirme pour sa part défendre une «mobilité multimodale».
Un refus dans les urnes aurait, selon lui, de graves conséquences: «Cela mettrait en péril la fonctionnalité du réseau de routes nationales avec davantage de bouchons et de trafic d’évitement sur les routes cantonales et les villages riverains», craint-il, rappelant que les autoroutes ne représentent que 3% du réseau routier, mais concentrent 40% du trafic individuel motorisé.
Concurrence au niveau de la place
Une nouvelle voie ferroviaire entre Lausanne et Genève pour désengorger cet axe ultra-fréquenté aux heures de pointe? Les usagers du rail l’attendent aussi. Pour l’heure, seul le projet de tunnel entre Morges et Perroy est sur la table. Et ces derniers mois, les mauvaises nouvelles se sont accumulées, entre temps de parcours rallongé, hausse des tarifs ou encore suppression de la ligne directe Genève-Neuchâtel. Pour couronner le tout, le chantier d’agrandissement de la gare de Lausanne fait du surplace, et celui de Genève a encore été repoussé.
Moins spectaculaires mais tout aussi nécessaires, les travaux d’entretien du réseau ferroviaire coûtent cher, sans apporter d’amélioration immédiate pour les utilisateurs. Voté durant la session parlementaire de février, le programme d’investissement Rail 2050 destiné à gommer les défauts du réseau en Suisse romande suscite donc de nombreux espoirs.
Pour le conseiller national socialiste Roger Nordmann, la concurrence ne se situe pas tant autour du financement, mais plutôt autour de la place disponible, très limitée en Suisse. L’axe Lausanne-Genève est à ce titre emblématique. «On ne pourra pas faire à la fois un troisième tronçon d’autoroute et une troisième voie de chemin de fer», affirme-t-il, plaidant pour un accent clair en faveur du rail, compte tenu des objectifs climatiques. Lundi, une motion déposée avec son ancien collègue PLR Olivier Français pour créer une redondance ferroviaire sur l’Arc lémanique a été plébiscitée à une large majorité par le Conseil national, après avoir été acceptée au Conseil des Etats.
Mais pour le sociologue de l’EPFL spécialiste des mobilités Vincent Kaufmann, il faudrait un renversement de paradigme total pour que la guerre des transports cesse. «On est face à des lobbys – même s’ils n’assument pas ce terme – qui s’opposent en permanence et cela empêche d’avoir une approche laïque dans ce domaine qui ne devrait pas être partisan», estime celui qui soutient ouvertement le référendum contre l’élargissement des autoroutes.
Avant de penser aux moyens, il faudrait, selon lui, fixer des objectifs. Quel est le but d’une politique de mobilité? «Si c’est, entre autres, de répondre aux objectifs climatiques fixés par l’Accord de Paris, alors le compte n’y est pas. Même si tous les véhicules passent à l’électrique, on aura rempli seulement 50% des objectifs.» De surcroît, les autres problèmes que l’automobile engendre demeurent: emprise sur le sol, bruit ou encore ressources pour la construction.
Il rappelle qu’en matière de mobilité, l’offre crée la demande. «C’est valable pour la route, mais aussi pour le train. On a vu comme le CEVA est déjà saturé peu de temps après sa mise en service. De fait, construire de nouvelles autoroutes ne fera qu’augmenter le trafic sans réduire les bouchons.»
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