L’essor de Neustark dans le béton propre
La start-up bernoise capte le CO2 émis par des usines de biogaz et le stocke dans du calcaire utilisé dans la construction. Elle a porté ses effectifs à 60 employés et multiplie les partenariats. Le dernier en date est à Genève
XCornaux, le 5 mars 2024. A bien des égards, la zone industrielle de cette commune neuchâteloise est au centre des questions énergétiques en Suisse. En toile de fond figure l’unique raffinerie du pays, à Cressier. En aval, le long du canal qui relie les lacs de Bienne et de Neuchâtel se trouve une centrale à gaz de secours, en cas de pénurie d’électricité. Et c’est d’un site situé entre les deux, celui du bétonnier Marti Arc Jura, que pourrait émaner un élément surprenant de la transition énergétique.
Cette centrale à béton paraît de prime abord ordinaire. Elle est entourée de tas de sable, de granulats de cailloux et de ciment concassés qu’elle transforme en béton par le biais de silos et de malaxeurs. Mais la tour est aussi équipée d’une cuve remplie de dioxyde de carbone (CO2). Cette molécule est captée ailleurs dans l’industrie, auprès d’installations de biogaz, et acheminée ici pour être transformée en calcaire.
«Identique, pas plus cher, écologique»
«Notre solution pétrifie le CO2, et le transforme en pierre. Elle le stocke de façon permanente dans du calcaire utilisé pour faire du béton», explique Valentin Gutknecht, cofondateur de Neustark, la société qui a breveté cette invention. La jeune pousse bernoise a été finaliste du prix SUD («Start-up durable»), une distinction remise par Le Temps et Romande Energie, en 2020. «Ce sont des émissions négatives, tout ça de CO2 en moins relâché dans l’atmosphère», relève-t-il. Autrement dit,
Neustark et Marti Arc Jura fabriquent à Cornaux du béton tout en capturant du gaz à effet de serre.
Le changement est invisible à l’oeil nu: l’écobéton qui ressort du malaxeur ressemble à n’importe quel autre béton. «Il est de qualité identique, pas plus cher et plus écologique», affirme Loris Cornamusaz, le responsable de la centrale neuchâteloise. Des tas de sable contiennent des résidus de bétons et de vieux ciments issus de chantiers de démolition de la région. Ils sont issus du recyclage, triés, concassés et réduits en granulats.
«Nous voulons éliminer 10 millions de tonnes de CO2 par an d’ici à 2050» VALENTIN GUTKNECHT, COFONDATEUR DE NEUSTARK
Neustark est en plein essor. La start-up fondée en 2019 a équipé 12 centrales à béton. Son système a été développé par un étudiant de l’EPFZ, Johannes Tiefenthaler, et Valentin Gutknecht, qui a auparavant travaillé pour Climeworks, une entreprise zurichoise qui planche sur une autre solution pour capter du CO2. Ils ont installé un prototype chez un bétonnier à Berne, Kästli, durant l’été 2020. Aujourd’hui, le groupe discute avec une trentaine de fabricants de béton et installe sa solution dans 25 centrales à béton, en Suisse, au Liechtenstein, en Allemagne, en France et en Autriche. Il emploie 60 personnes, un chiffre qui double chaque année.
Neustark a levé 1 million de francs en 2019, notamment auprès d’un fonds genevois ACE & Company. Il discute désormais sur des sommes portant sur plusieurs dizaines de millions et espère trouver un accord d’ici à cet été. Holcim, le géant suisse du ciment, a pris une participation et veut déployer sa technologie.
La start-up a passé un cap symbolique en février, quand ses premières 1000 tonnes de CO2 ont été éliminées de l’atmosphère. «Nous voulons éliminer 10 millions de tonnes de CO2 par an d’ici à 2050», indique Valentin Gutknecht. «Pour cela, il faudrait avoir 1000 installations comme celle de Cornaux.»
A l’échelle mondiale, il faudra en capturer une dizaine de milliards de tonnes par an pour contenir le dérèglement climatique en 2050, selon l’ONU. Dont 10 à 12 millions de tonnes en Suisse. «Il faudra tout un éventail d’autres solutions pour y parvenir», estime Valentin Gutknecht, de la plantation d’arbres à la capture de CO2 dans l’air proposée par Climeworks.
Projet à Aïre
Neustark multiplie aussi les partenariats avec les producteurs de biogaz, pour capturer plus de CO2. Le groupe espère cette année nouer sept autres collaborations, dont une avec la station d’épuration des eaux usées d’Aïre, à Genève, ces prochaines semaines. «Il s’agit d’un projet innovant pour faire face à l’urgence climatique», se félicitent d’ailleurs les SIG.
«Neustark a de l’avenir car la demande est grande et parce que son processus est relativement simple et déjà bien maîtrisé», estime Eric Plan, le secrétaire général de CleantechAlps. «A voir maintenant s’ils arrivent à augmenter la cadence ou s’ils vont être menacés par des technologies concurrentes.»
A Cornaux, le CO2 arrive en camion sous forme liquide. Il est réchauffé et gazéifié, inséré dans la cuve avant d’être intégré dans des silos et mélangé aux autres éléments nécessaires à la fabrication du béton. Environ 400 centrales à béton sont recensées en Suisse. Elles quadrillent le territoire car elles doivent être proches de leur clientèle. Il faut pouvoir rapidement livrer la marchandise qui durcit deux heures après sa sortie du malaxeur. ■