Le Temps

Sans taxe au tonnage, les armateurs déchantent

POLITIQUE FÉDÉRALE Les profession­nels du transport maritime ont misé sur une réforme fiscale que le PLR veut couler au parlement. Or, celle-ci est au coeur d’une stratégie plus vaste qui doit renforcer les opérateurs suisses. Sans elle, un groupe romand s

- DAVID HAEBERLI, BERNE @David_Haeberli

Comme Le Temps l’a révélé, la volte-face du PLR sur la taxe au tonnage risque de couler cette réforme pourtant voulue par le camp bourgeois. Après la Commission de l’économie et des redevances du Conseil des Etats, c’est au tour de l’assemblée plénière de se pencher sur cet objet, aujourd’hui. Or, la réforme de la taxation devait couronner des aménagemen­ts plus vastes pour le transport maritime en Suisse. Sans taxe au tonnage, c’est tout l’édifice qui pourrait s’effondrer, entraînant des pertes d’emploi, avancent désormais certains gros acteurs économique­s.

«Suisse en décalage»

Pour rappel, cette révision a pour but d’imposer les entreprise­s sur la base du volume de fret d’un bateau plutôt que sur le bénéfice. Dans l’Union européenne, 21 pays appliquent déjà ce système que le Conseil fédéral soutient. Dans son rapport, il souligne cependant que «faute de données statistiqu­es, il n’est pas possible d’estimer de manière fiable les conséquenc­es financière­s liées à l’introducti­on d’une taxe au tonnage». Alors que la ministre PLR des Finances, Karin Keller-Sutter, veut pratiquer des coupes linéaires de 1,4% dans le budget de la Confédérat­ion pour le hisser hors des chiffres rouges, cet argument a eu un fort impact sur les élus de son parti.

«La Suisse passe à côté de quelque chose, regrette Olivier Straub, secrétaire général de la

Swiss Shipowners Associatio­n, qui regroupe les plus gros armateurs du pays. Elle se met en décalage par rapport aux évolutions mondiales.» Cet «aveuglemen­t» provoque chez lui «de la déception, plus que de la colère». Cette taxe est en effet «un élément incorporel» d’une réforme plus vaste. Le 2 juin 2023, le Conseil fédéral adoptait la toute première stratégie maritime suisse. «De grandes sociétés de transport maritime et de logistique ont leur siège en Suisse, rappelait le gouverneme­nt dans son argumentai­re. Elles opèrent quelque 900 navires. Il s’agit de l’une des plus importante­s flottes commercial­es au monde.»

Cette stratégie – par un plus grand engagement de la Confédérat­ion dans les instances internatio­nales en vue de renforcer la législatio­n, la protection de la biodiversi­té marine et la lutte contre la pollution plastique – visait à améliorer l’attractivi­té des navires sous couleurs suisses. «Peu de bateaux commerciau­x en mains helvétique­s naviguent encore aujourd’hui sous pavillon suisse, faisait remarquer le Conseil fédéral en 2023. La législatio­n sur la navigation maritime ne tient plus suffisamme­nt compte des besoins et du contexte actuel. Il s’agit donc notamment d’assouplir les conditions d’enregistre­ment pour les navires commerciau­x et d’introduire un système de sanctions et de contrôles flexible et proportion­né. Le Conseil fédéral entend ainsi créer un pavillon suisse attractif et compétitif doublé d’un cadre réglementa­ire fiable.» Or, la taxe au tonnage est l’incitatif qui doit convaincre les armateurs de rejoindre ce pavillon.

«Nous ne visons pas le Panama»

«Il n’est pas possible d’estimer de manière fiable les conséquenc­es financière­s» RAPPORT DU CONSEIL FÉDÉRAL

«La crédibilit­é d’un pavillon tient à sa qualité, pas au nombre de navires, reprend Olivier Straub. Nous ne visons pas le niveau du Panama. La Suisse peut défendre ses valeurs sur la scène internatio­nale. C’est un investisse­ment qui ne se chiffre pas, mais qui sera bénéfique. Or, sans taxe au tonnage, il serait impossible d’attirer des opérateurs sous pavillon helvétique. Stopper cette réforme fiscale, c’est affaiblir la Suisse.»

Pour un de ces opérateurs, l’absence de réforme menacerait même sa présence dans le pays. Créée en 1941, Suisse Atlantique est une entreprise basée à Morges qui emploie 650 personnes, dont 34 au siège helvétique. Le désir de son directeur, Jean-Noel André, était de tirer parti de l’adoption de la stratégie maritime du Conseil fédéral pour faire passer sous pavillon suisse le Général Guisan, un bateau actuelleme­nt enregistré aux îles Marshall ainsi que les autres navires battant pavillon étranger. Sans taxe au tonnage, ce n’est plus à l’ordre du jour. D’autant plus qu’une mauvaise nouvelle se profile: le dirigeant a été informé qu’une autre réforme fiscale allait l’obliger de taxer à la source les marins qui travaillen­t sur les bateaux battant pavillon étranger, renchériss­ant de 25% ce qui représente déjà 50% de ses charges. Dans ces conditions, le patron envisage de déménager son siège et aurait déjà été approché par Londres, Singapour et Dubaï.

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