A Paris, un concours pour les «top cheffes»
CLASSIQUE D’aujourd’hui à samedi se déroule, à la Philharmonie de Paris, La Maestra, un concours réservé aux femmes cheffes d’orchestre. Des épreuves à suivre en direct sur Arte Concert
Près de 200 candidates ont postulé à la troisième édition de La Maestra, le seul concours dédié exclusivement aux femmes cheffes d'orchestre, organisé tous les deux ans à Paris. Sa fondatrice, Claire Gibault, la directrice musicale du Paris Mozart Orchestra, se réjouit que «de plus en plus de femmes se sentent légitimes à diriger. La diversité géographique s'est accrue, avec des candidatures provenant cette année d'une cinquantaine de pays. Une Israélienne, une Palestinienne, une Russe et une Ukrainienne ont même postulé, une gageure dans le contexte géopolitique actuel.»
Faire ses preuves dans différents styles
Après une première sélection sur vidéo, seulement 14 candidates vont se retrouver à la Philharmonie de Paris, du 14 au 17 mars. Pendant les trois tours, elles devront faire leurs preuves dans une grande variété de répertoires: symphonique, lyrique, contemporain. Le programme comprend pour chaque épreuve une pièce composée par une femme, avec notamment cette année une création de Manon Lepauvre. «Les femmes compositrices sont dans une situation encore plus difficile que les cheffes d'orchestre», déplore Claire Gibault.
A l'issue de la compétition sont attribués plusieurs prix: outre ceux du jury (présidé cette année par Nathalie Stutzmann, contralto devenue cheffe d'orchestre et actuellement directrice musicale de l'Orchestre symphonique d'Atlanta), des récompenses sont notamment décernées par l'organisation des salles de concert européennes, par la chaîne Arte… En 2022, Ustina Dubitsky a remporté le prix décerné par le Paris Mozart Orchestra, qui accompagne l'ensemble des épreuves. «Ce concours est un vrai marathon au cours duquel on est jugé sur la technique, le son que l'on obtient, l'organisation du travail avec les musiciens», se souvient la cheffe allemande d'origine ukrainienne, qui salue «le choix politique d'avoir un concours réservé aux femmes cheffes d'orchestre. C'est un outil formidable pour changer les choses. La place des femmes dans les concours mixtes reste encore faible. L'absence de limite d'âge à La Maestra est aussi un atout, car beaucoup de femmes se mettent tard à la direction d'orchestre, après avoir, par exemple, fait de la direction de choeur où elles sont davantage acceptées.»
Selon l'étude commandée en 2022 par La Maestra à la musicologue et journaliste Nathalie Krafft, les femmes occupent 7,9% des postes de directeur musical dans le monde. Un chiffre encore très faible, mais en progression: en 2018, le pourcentage était de 4,8%. «La situation évolue dans le bon sens. Le niveau des candidates ne fait qu'augmenter. Mais il faut rester vigilant», dit Claire Gibault, qui déplore des réactions encore négatives sur les réseaux sociaux.
Deux ans dans une Académie
Autre spécificité du concours: les six demi-finalistes intègrent pendant deux ans l'Académie de La Maestra. Elles y suivent des cours, des ateliers sur différents thèmes (apprendre à travailler avec un agent, gérer sa communication, etc.) et sont invitées à codiriger des concerts. «L'argent qui accompagne un prix n'est pas le plus important. L'essentiel, c'est ce que va apporter le concours en termes de propositions de concerts. J'ai obtenu de la visibilité grâce à La Maestra et, depuis deux saisons, je gagne ma vie comme cheffe d'orchestre», se réjouit Ustina Dubitsky. L'organisation d'un tel concours représente un coût d'environ 400 000 euros, comprenant aussi bien les cachets des musiciens de l'orchestre, les remboursements des voyages des candidates… Ce budget est principalement financé par les mécènes du Paris Mozart Orchestra, en particulier la Fondation Ardian. «Si nous faisions un concours pour les femmes, il ne fallait pas se limiter à une petite compétition. Nous devions faire un événement prestigieux», affirme Claire Gibault, qui tient à nous préciser: «Ce concours n'est pas fait contre les hommes, mais avec les hommes qui veulent réparer les injustices.»
Olivier Mantei, le directeur de la Philharmonie de Paris, qui coproduit La Maestra, le souligne: «Dans l'idéal, on aimerait qu'un concours genré n'existe pas. Mais il y a encore beaucoup à faire. Aujourd'hui, pour que La Maestra se développe, il nous faut nouer encore davantage de liens avec les orchestres, les salles de concert. Nous devons faciliter la détection des cheffes en amont et leur offrir encore plus d'opportunités en aval du concours.» Le message commence à porter ses fruits: Stephanie Childress, deuxième prix en 2020, vient d'obtenir le poste de principale cheffe invitée de l'Orchestre symphonique de Barcelone à partir de la saison 20242025. ■
La Maestra, Philharmonie de Paris, du 14 au 17 mars. A voir sur Arte Concert.