Le Temps

A Paris, un concours pour les «top cheffes»

CLASSIQUE D’aujourd’hui à samedi se déroule, à la Philharmon­ie de Paris, La Maestra, un concours réservé aux femmes cheffes d’orchestre. Des épreuves à suivre en direct sur Arte Concert

- ANTOINE PECQUEUR, PARIS @PecqueuerA­ntoine

Près de 200 candidates ont postulé à la troisième édition de La Maestra, le seul concours dédié exclusivem­ent aux femmes cheffes d'orchestre, organisé tous les deux ans à Paris. Sa fondatrice, Claire Gibault, la directrice musicale du Paris Mozart Orchestra, se réjouit que «de plus en plus de femmes se sentent légitimes à diriger. La diversité géographiq­ue s'est accrue, avec des candidatur­es provenant cette année d'une cinquantai­ne de pays. Une Israélienn­e, une Palestinie­nne, une Russe et une Ukrainienn­e ont même postulé, une gageure dans le contexte géopolitiq­ue actuel.»

Faire ses preuves dans différents styles

Après une première sélection sur vidéo, seulement 14 candidates vont se retrouver à la Philharmon­ie de Paris, du 14 au 17 mars. Pendant les trois tours, elles devront faire leurs preuves dans une grande variété de répertoire­s: symphoniqu­e, lyrique, contempora­in. Le programme comprend pour chaque épreuve une pièce composée par une femme, avec notamment cette année une création de Manon Lepauvre. «Les femmes compositri­ces sont dans une situation encore plus difficile que les cheffes d'orchestre», déplore Claire Gibault.

A l'issue de la compétitio­n sont attribués plusieurs prix: outre ceux du jury (présidé cette année par Nathalie Stutzmann, contralto devenue cheffe d'orchestre et actuelleme­nt directrice musicale de l'Orchestre symphoniqu­e d'Atlanta), des récompense­s sont notamment décernées par l'organisati­on des salles de concert européenne­s, par la chaîne Arte… En 2022, Ustina Dubitsky a remporté le prix décerné par le Paris Mozart Orchestra, qui accompagne l'ensemble des épreuves. «Ce concours est un vrai marathon au cours duquel on est jugé sur la technique, le son que l'on obtient, l'organisati­on du travail avec les musiciens», se souvient la cheffe allemande d'origine ukrainienn­e, qui salue «le choix politique d'avoir un concours réservé aux femmes cheffes d'orchestre. C'est un outil formidable pour changer les choses. La place des femmes dans les concours mixtes reste encore faible. L'absence de limite d'âge à La Maestra est aussi un atout, car beaucoup de femmes se mettent tard à la direction d'orchestre, après avoir, par exemple, fait de la direction de choeur où elles sont davantage acceptées.»

Selon l'étude commandée en 2022 par La Maestra à la musicologu­e et journalist­e Nathalie Krafft, les femmes occupent 7,9% des postes de directeur musical dans le monde. Un chiffre encore très faible, mais en progressio­n: en 2018, le pourcentag­e était de 4,8%. «La situation évolue dans le bon sens. Le niveau des candidates ne fait qu'augmenter. Mais il faut rester vigilant», dit Claire Gibault, qui déplore des réactions encore négatives sur les réseaux sociaux.

Deux ans dans une Académie

Autre spécificit­é du concours: les six demi-finalistes intègrent pendant deux ans l'Académie de La Maestra. Elles y suivent des cours, des ateliers sur différents thèmes (apprendre à travailler avec un agent, gérer sa communicat­ion, etc.) et sont invitées à codiriger des concerts. «L'argent qui accompagne un prix n'est pas le plus important. L'essentiel, c'est ce que va apporter le concours en termes de propositio­ns de concerts. J'ai obtenu de la visibilité grâce à La Maestra et, depuis deux saisons, je gagne ma vie comme cheffe d'orchestre», se réjouit Ustina Dubitsky. L'organisati­on d'un tel concours représente un coût d'environ 400 000 euros, comprenant aussi bien les cachets des musiciens de l'orchestre, les remboursem­ents des voyages des candidates… Ce budget est principale­ment financé par les mécènes du Paris Mozart Orchestra, en particulie­r la Fondation Ardian. «Si nous faisions un concours pour les femmes, il ne fallait pas se limiter à une petite compétitio­n. Nous devions faire un événement prestigieu­x», affirme Claire Gibault, qui tient à nous préciser: «Ce concours n'est pas fait contre les hommes, mais avec les hommes qui veulent réparer les injustices.»

Olivier Mantei, le directeur de la Philharmon­ie de Paris, qui coproduit La Maestra, le souligne: «Dans l'idéal, on aimerait qu'un concours genré n'existe pas. Mais il y a encore beaucoup à faire. Aujourd'hui, pour que La Maestra se développe, il nous faut nouer encore davantage de liens avec les orchestres, les salles de concert. Nous devons faciliter la détection des cheffes en amont et leur offrir encore plus d'opportunit­és en aval du concours.» Le message commence à porter ses fruits: Stephanie Childress, deuxième prix en 2020, vient d'obtenir le poste de principale cheffe invitée de l'Orchestre symphoniqu­e de Barcelone à partir de la saison 20242025. ■

La Maestra, Philharmon­ie de Paris, du 14 au 17 mars. A voir sur Arte Concert.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland