Science plutôt que croyances pour protéger la faune
La régulation du loup interpelle bien au-delà de la seule société civile. La stratégie du Conseil fédéral est critiquée jusqu’en interne dans ses propres agences gouvernementales, et est actuellement scrutée par le Tribunal fédéral. L’ordonnance partielle d’application qui la régit, décidée sans réelle procédure de consultation, devra être finalisée en 2025. Le moment est donc venu d’ajuster le cadre légal aux vrais enjeux de notre temps et à l’aune de la science.
En 1986, la Suisse s’était dotée d’une loi sur la chasse, la protection des oiseaux et des mammifères sauvages (LChP), plutôt novatrice à l’époque. Notre pays apparaissait alors au sommet du classement mondial des préoccupations environnementales. A la fin des années 2010, nos Chambres fédérales ont décidé de moderniser ce cadre législatif. L’objectif visé était la possibilité de réguler plus intensivement les grands carnivores, ainsi que le bouquetin et le castor, en raison des dommages qu’ils peuvent générer. L’exercice s’est malheureusement avéré vain: aucune considération n’a en effet été prêtée, en parallèle, à la multitude des espèces d’oiseaux et de mammifères pourtant en déclin. La nouvelle LChP a été rejetée par le peuple en 2020.
Soucieuses surtout de contrôler l’expansion du loup, les Chambres fédérales ont récemment modifié la loi de 1986, à défaut d’un exercice de révision intégrale, afin de pouvoir le tirer proactivement et intensivement. Tandis que les manquements de la loi de 1986 n’ont pas été corrigés, la régulation du loup et du bouquetin (auxquels le Conseil fédéral peut maintenant, par décret, rajouter d’autres espèces protégées, comme le lynx ou l’aigle royal) en est le point focal. Malheureusement, aucune mesure n’y est par contre prévue pour freiner le déclin des oiseaux et des mammifères menacés.
Nos parlementaires ont par ailleurs inventé le singulier concept d’espèce «strictement protégée mais régulable». Cette loi est depuis peu en vigueur, le référendum n’ayant cette fois-ci pas été activé. C’est son ordonnance partielle d’application qui a permis à plusieurs centaines de chasseurs et gardes-chasse de traquer le loup dans le cadre de la campagne de régulation qui vient de s’achever. La Suisse pourrait ainsi, à terme et en toute légalité, éradiquer 60 à 70% de l’effectif d’une espèce «strictement protégée». Idem pour le bouquetin dont on peut d’ores et déjà tirer des centaines d’individus, sans aucune mesure avec les très rares dommages qu’ils occasionnent. Le terme de «régulation» est ici particulièrement usurpé: il s’agit en fait de chasse (spéciale). Quant au loup, il sera dorénavant régulable huit mois par an (de juin à janvier), le bouquetin durant quatre mois, bien au-delà de ce qui est autorisé pour toute autre espèce soumise à l’exploitation cynégétique.
Pourquoi en est-on arrivé là? Parce que l’élaboration de la LChP et de son ordonnance partielle s’est affranchie de l’évidence scientifique, faisant la part belle aux croyances issues du sens commun. Les nouveaux concepts de gestion de la faune suisse n’ont tout simplement pas tenu compte des progrès de l’écologie scientifique. Ainsi, si l’objectif ultime de la LChP demeure la protection de la faune tout en tenant compte des exigences de l’agriculture et de la foresterie, la nouvelle loi permet toujours la chasse de la perdrix grise (éteinte en Suisse!), du lagopède alpin (dont les effectifs s’effondrent sous l’impact du dérèglement climatique) et de la bécasse des bois (qui se raréfie partout).
En plus de limiter les dommages aux animaux de rente, la loi viserait également l’élimination – via un théorique «effet éducatif» (sic) – des individus qui menaceraient l’intégrité physique de l’homme. Or, l’appréciation de ce dernier risque est hautement subjective.
En effet, seules 11 attaques fatales du loup sur l’homme ont été répertoriées dans le monde occidental depuis 1950, la majorité étant le fait de loups enragés; or, la rage est éradiquée d’Europe centrale. Seul aspect positif de la nouvelle LChP pour la biodiversité: aucune chasse d’espèce protégée n’est plus tolérée dans les districts francs fédéraux. La lucrative traque aux trophées de bouquetin ne pourra plus y être pratiquée. Sachez enfin que le loup pourrait, dans le futur, être simplement tiré si l’on observe une baisse d’effectif chez les ongulés sauvages, sans que l’on ait besoin de faire la preuve qu’il soit la cause de leur déclin, ceci pour préserver la régale de la chasse. Ainsi, la chute des populations de chamois, qui a débuté avant le retour du grand prédateur, pourrait d’ores et déjà servir d’argument pour éliminer les loups.
Il faut que le législateur, en tenant compte des acquis de la science, ponde une loi digne des vrais enjeux environnementaux auxquels l’humanité et la Suisse doivent faire face, dont l’érosion dramatique de la biodiversité. ■
Le terme de «régulation» est particulièrement usurpé: il s’agit en fait de chasse (spéciale)