Le Temps

La guerre en Ukraine met Allemands et Français à cran

Emmanuel Macron est attendu aujourd’hui à Berlin. Les leaders allemand et français vont tenter de faire oublier les fortes tensions de ces derniers jours autour de l’Ukraine. Le premier ministre polonais sera aussi de la partie

- @delphnerbo­llier X DELPHINE NERBOLLIER, BERLIN

La rencontre entre Olaf Scholz, Emmanuel Macron et Donald Tusk, qui doit avoir lieu aujourd’hui à Berlin, a été évoquée il y a à peine quelques jours, lors d’un coup de téléphone, le 10 mars, entre le chancelier allemand et le président français. «C’est clairement une réunion de crise», commente Jacob Ross, du Conseil allemand sur les relations internatio­nales (DGAP). Si les ministres des Affaires étrangères de ces trois pays avaient préparé le terrain il y a quelques semaines, c’est en effet dans une certaine urgence qu’a été organisée cette réunion, au plus haut niveau, du Triangle de Weimar, comme on appelle ce format à trois. L’urgence, c’est surtout celle de mettre fin à une séquence diplomatiq­ue particuliè­rement tendue entre Paris et Berlin.

Tout a commencé par l’allusion d’Emmanuel Macron fin février à un possible «envoi de soldats en Ukraine». L’idée a littéralem­ent fait sortir de ses gonds le jusque-là très placide Olaf Scholz. «En tant que chancelier allemand, je n’enverrai pas de soldats de notre armée fédérale en Ukraine», a-t-il répondu, sans appel. En réponse, le président français a répliqué quelques jours plus tard, lors d’une visite en République tchèque, en appelant «l’Europe à ne pas être lâche». Pique indirecte mais évidente à l’Allemagne, qui refuse de livrer des missiles de croisière de type Taurus à l’Ukraine. La critique a claqué d’autant plus violemment à Berlin que le chef d’Etat français a aussi fait allusion dans ce même discours aux casques et sacs de couchage envoyés par l’Allemagne dans les premiers jours suivant l’annexion de l’Ukraine. Dans ce jeu de ping-pong verbal, Olaf Scholz ne cesse depuis de rappeler qu’il n’a de leçons à recevoir de personne. L’Allemagne est le deuxième fournisseu­r d’armes à Kiev, très loin devant la France.

«Des différence­s pas nouvelles»

«En fait, Paris et Berlin sont d’accord sur les objectifs, c’est-à-dire soutenir l’Ukraine, mais ils divergent sur les méthodes pour y parvenir», constate Marc Ringel, président de l’Institut des relations franco-allemandes de Ludwigsbou­rg. «Ces différence­s ne sont pas nouvelles mais elles étaient jusque-là résorbées par les structures franco-allemandes existantes. Or avec la guerre en Ukraine, les deux pays ont beaucoup moins de temps pour réagir et pour activer ces structures souvent lourdes. La coordinati­on manque, alors que par ailleurs la pression de l’opinion publique monte en interne à l’approche des élections européenne­s», explique cet expert.

La tension de ces dernières semaines confirme par ailleurs l’absence d’étincelle entre les dirigeants français et allemand, aux personnali­tés opposées. Si Emmanuel Macron est accusé en Allemagne de trop parler, Olaf Scholz est lui critiqué pour ne pas assez s’exprimer ou trop tardivemen­t.

«Ces querelles ressemblen­t à un «concours de beauté», regrette de son côté Nico Lange, de la Conférence sur la sécurité de Munich. «Elles s’inscrivent dans un contexte de politique intérieure, mais n’aident en rien l’Ukraine», estime-t-il. Son collègue Jacob Ross confirme. «Entre les deux hommes, il n’y a pas seulement un manque de confiance mais surtout une compétitio­n pour le leadership européen», constate cet expert du DGAP. «Le fait est qu’entre Paris et Berlin les résultats manquent à l’appel. Par exemple, il n’y a pas eu de déclaratio­n commune lors de la récente signature des accords de sécurité entre leurs deux pays et l’Ukraine. Il n’y a pas eu non plus de déclaratio­n forte à la Conférence sur la sécurité de Munich, en février. Il y a, estime cet expert, un problème à la tête des deux Etats même si la relation de travail est très intense aux niveaux ministérie­ls.»

L’opposition chrétienne-démocrate allemande est la première à reprocher à Olaf Scholz de ne pas être assez actif en matière d’initiative européenne et de négliger la relation franco-allemande. Mercredi, au sein du Bundestag, l’intéressé a rejeté ces accusation­s d’un revers de main. «Le travail

«Ces querelles s’inscrivent dans un contexte de politique intérieure, mais n’aident en rien l’Ukraine» NICO LANGE, DE LA CONFÉRENCE SUR LA SÉCURITÉ DE MUNICH

entre la France et l’Allemagne est très intense […]. La force de notre coopératio­n vient aussi du fait que nous avons parfois des positions différente­s mais il est important que ces points de vue se traduisent en propositio­ns pour l’avenir. C’est ce que nous faisons et continuons à faire. Cela a une grande importance pour les autres pays de l’Union européenne», assure le chancelier.

Résultats concrets requis

Dans ce contexte tendu, la réunion du Triangle de Weimar, aujourd’hui à Berlin, s’annonce symbolique. Emmanuel Macron et Olaf Scholz se rencontrer­ont tout d’abord à deux, avant un entretien à trois avec le premier ministre polonais, Donald Tusk. «Cette rencontre a deux volets: reconstrui­re la relation franco-allemande et revitalise­r le Triangle de Weimar», constate Kai-Olaf Lang, du centre SWP de Berlin.

«Qu’en sortira-t-il? Je n’en sais rien mais dans le contexte actuel il est essentiel que cette réunion ait lieu. Il s’agit de montrer que les Européens sont présents pour soutenir l’Ukraine», estime-t-il. Son collègue Nico Lange, de la Conférence sur la sécurité de Munich, a lui de plus grandes ambitions: «Il serait bon que des pas concrets soient faits ce vendredi. Ces trois pays pourraient annoncer des actions pour produire des munitions ou pour étendre la défense aérienne de l’Ukraine. Il est très important que la France et l’Allemagne rapprochen­t leur stratégie en la matière, et Donald Tusk peut jouer un rôle très positif [...]. C’est un homme politique très mature, capable de jouer les modérateur­s entre la France et l’Allemagne.» ■

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