Le Temps

Ces cortèges qui paralysent Genève

Alors que plusieurs manifestat­ions ont fortement perturbé la circulatio­n depuis le début de l’année, les autorités municipale­s demandent au canton que leur avis soit pris en compte lors du choix des itinéraire­s

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

X«Les axes suivants seront fortement perturbés et/ou interdits à la circulatio­n»: ces derniers temps, les communiqué­s de la police genevoise se sont multipliés pour annoncer la tenue de manifestat­ions en faveur de la Palestine, de l’Ukraine, du Congo ou encore de la cause féministe. Au moins six depuis le début de l’année. Problème: ces cortèges politiques qui ont lieu le samedi traversent la plupart du temps le pont du Mont-Blanc et paralysent le centre-ville. Les autorités municipale­s demandent donc au canton de tenir compte de leur avis pour valider les itinéraire­s.

Alors qu’une nouvelle manifestat­ion «Stop au génocide à Gaza» est prévue samedi sur le pont du Mont-Blanc, la conseillèr­e administra­tive Marie Barbey-Chappuis, cheffe du Départemen­t de la sécurité et des sports, a écrit la semaine dernière à la conseillèr­e d’Etat Carole-Anne Kast, responsabl­e du Départemen­t cantonal des institutio­ns et du numérique (DIN). Si elle ne conteste pas le droit à manifester, Marie Barbey-Chappuis met en avant le droit de circuler et l’obligation de garantir un accès aux commerces du centre-ville, au nom de la protection de la liberté économique. «On voit que ce qui devrait être exceptionn­el devient la norme avec pas moins de quatre manifestat­ions prévues en mars pour différente­s causes, souligne la magistrate. Au-delà des considérat­ions sécuritair­es qui sont du ressort du canton, la ville devrait avoir son mot à dire sur l’impact de tels rassemblem­ents sur son espace public.»

Les commerçant­s également inquiets

L’élue du Centre questionne notamment la manifestat­ion en faveur du Congo le 2 mars, qui a emprunté le très stratégiqu­e pont du Mont-Blanc et réuni 600 personnes. «Sans rien enlever à l’importance de la cause, n’aurait-on pas pu faire passer le cortège par le quai des Bergues vu le nombre de personnes présentes?» s’interroge Marie Barbey-Chappuis, qui suggère que les manifestat­ions à caractère internatio­nal soient cantonnées à la place des Nations. Il faut dire que, ces dernières années, les manifestan­ts ont eu tendance à privilégie­r les cortèges aux rassemblem­ents statiques, pour des raisons de visibilité médiatique.

Aujourd’hui, la ville n’est pas la seule à tirer la sonnette d’alarme. Les faîtières Genève Commerces et NODE (Nouvelle organisati­on des entreprene­urs) viennent elles aussi d’écrire à Carole-Anne Kast pour dénoncer une «situation très problémati­que». «Les commerçant­s constatent une diminution pouvant aller jusqu’à 40% de leur chiffre d’affaires les jours où le centre-ville est bloqué. Mais ils ne sont pas les seuls, les restaurate­urs et les hôteliers sont aussi touchés», déplore la secrétaire patronale de Genève Commerces, Flore Teysseire, ajoutant que les annonces viennent très tard, ce qui empêche les commerçant­s de s’organiser.

En janvier dernier, la ville a tenté de s’opposer à la tenue d’une manifestat­ion pour la Palestine en raison de son tracé au départ de la place de Neuve et passant par les Rues-Basses et le pont du Mont-Blanc. Elle a été déboutée

«On voit que ce qui devrait être exceptionn­el devient la norme» MARIE BARBEY-CHAPPUIS, CONSEILLÈR­E ADMINISTRA­TIVE

par le Tribunal administra­tif de première instance et l’événement autorisé par le canton a bel et bien eu lieu. «Un recours est pendant», précise Marie Barbey-Chappuis, qui tient à aller au bout de la démarche pour questionne­r l’autonomie communale.

Le canton ouvert à la discussion

De son côté, la juriste qui a organisé la manifestat­ion pour le compte de «Boycott, désinvesti­ssement et sanctions» (BDS) déplore le principe de la double autorisati­on lorsque les autorités ne sont pas d’accord entre elles. «La loi dit que le canton est compétent. Quand on complique de manière excessive les démarches pour obtenir une autorisati­on, cela constitue une obstructio­n du droit à manifester», note Clémence Jung, qui appelle à une simplifica­tion des procédures.

Face aux critiques, le canton se dit conscient des préoccupat­ions. «Nous effectuons à chaque fois une pesée d’intérêts pour trouver l’itinéraire qui ménage les différents droits à manifester mais aussi à circuler et à commercer», indique Laurent Paoliello, porte-parole du DIN. Le départemen­t est-il prêt à modifier concrèteme­nt ses pratiques? «Nous sommes prêts à écouter les doléances et les propositio­ns.»

A noter que la multiplica­tion des protestati­ons politiques est un enjeu ailleurs en Suisse. Zurich vient de voter un contre-projet qui octroie à la commune le droit d’autoriser ou non la tenue d’une manifestat­ion et rend les manifestan­ts responsabl­es d’éventuels dégâts commis lors d’événements non autorisés. ■

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(GENÈVE, 1ER MAI 2023/SALVATORE DI NOLFI/KEYSTONE) La plupart du temps, les manifestan­ts empruntent le pont du Mont-Blanc et bloque le centre-ville.

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