Ces cortèges qui paralysent Genève
Alors que plusieurs manifestations ont fortement perturbé la circulation depuis le début de l’année, les autorités municipales demandent au canton que leur avis soit pris en compte lors du choix des itinéraires
X«Les axes suivants seront fortement perturbés et/ou interdits à la circulation»: ces derniers temps, les communiqués de la police genevoise se sont multipliés pour annoncer la tenue de manifestations en faveur de la Palestine, de l’Ukraine, du Congo ou encore de la cause féministe. Au moins six depuis le début de l’année. Problème: ces cortèges politiques qui ont lieu le samedi traversent la plupart du temps le pont du Mont-Blanc et paralysent le centre-ville. Les autorités municipales demandent donc au canton de tenir compte de leur avis pour valider les itinéraires.
Alors qu’une nouvelle manifestation «Stop au génocide à Gaza» est prévue samedi sur le pont du Mont-Blanc, la conseillère administrative Marie Barbey-Chappuis, cheffe du Département de la sécurité et des sports, a écrit la semaine dernière à la conseillère d’Etat Carole-Anne Kast, responsable du Département cantonal des institutions et du numérique (DIN). Si elle ne conteste pas le droit à manifester, Marie Barbey-Chappuis met en avant le droit de circuler et l’obligation de garantir un accès aux commerces du centre-ville, au nom de la protection de la liberté économique. «On voit que ce qui devrait être exceptionnel devient la norme avec pas moins de quatre manifestations prévues en mars pour différentes causes, souligne la magistrate. Au-delà des considérations sécuritaires qui sont du ressort du canton, la ville devrait avoir son mot à dire sur l’impact de tels rassemblements sur son espace public.»
Les commerçants également inquiets
L’élue du Centre questionne notamment la manifestation en faveur du Congo le 2 mars, qui a emprunté le très stratégique pont du Mont-Blanc et réuni 600 personnes. «Sans rien enlever à l’importance de la cause, n’aurait-on pas pu faire passer le cortège par le quai des Bergues vu le nombre de personnes présentes?» s’interroge Marie Barbey-Chappuis, qui suggère que les manifestations à caractère international soient cantonnées à la place des Nations. Il faut dire que, ces dernières années, les manifestants ont eu tendance à privilégier les cortèges aux rassemblements statiques, pour des raisons de visibilité médiatique.
Aujourd’hui, la ville n’est pas la seule à tirer la sonnette d’alarme. Les faîtières Genève Commerces et NODE (Nouvelle organisation des entrepreneurs) viennent elles aussi d’écrire à Carole-Anne Kast pour dénoncer une «situation très problématique». «Les commerçants constatent une diminution pouvant aller jusqu’à 40% de leur chiffre d’affaires les jours où le centre-ville est bloqué. Mais ils ne sont pas les seuls, les restaurateurs et les hôteliers sont aussi touchés», déplore la secrétaire patronale de Genève Commerces, Flore Teysseire, ajoutant que les annonces viennent très tard, ce qui empêche les commerçants de s’organiser.
En janvier dernier, la ville a tenté de s’opposer à la tenue d’une manifestation pour la Palestine en raison de son tracé au départ de la place de Neuve et passant par les Rues-Basses et le pont du Mont-Blanc. Elle a été déboutée
«On voit que ce qui devrait être exceptionnel devient la norme» MARIE BARBEY-CHAPPUIS, CONSEILLÈRE ADMINISTRATIVE
par le Tribunal administratif de première instance et l’événement autorisé par le canton a bel et bien eu lieu. «Un recours est pendant», précise Marie Barbey-Chappuis, qui tient à aller au bout de la démarche pour questionner l’autonomie communale.
Le canton ouvert à la discussion
De son côté, la juriste qui a organisé la manifestation pour le compte de «Boycott, désinvestissement et sanctions» (BDS) déplore le principe de la double autorisation lorsque les autorités ne sont pas d’accord entre elles. «La loi dit que le canton est compétent. Quand on complique de manière excessive les démarches pour obtenir une autorisation, cela constitue une obstruction du droit à manifester», note Clémence Jung, qui appelle à une simplification des procédures.
Face aux critiques, le canton se dit conscient des préoccupations. «Nous effectuons à chaque fois une pesée d’intérêts pour trouver l’itinéraire qui ménage les différents droits à manifester mais aussi à circuler et à commercer», indique Laurent Paoliello, porte-parole du DIN. Le département est-il prêt à modifier concrètement ses pratiques? «Nous sommes prêts à écouter les doléances et les propositions.»
A noter que la multiplication des protestations politiques est un enjeu ailleurs en Suisse. Zurich vient de voter un contre-projet qui octroie à la commune le droit d’autoriser ou non la tenue d’une manifestation et rend les manifestants responsables d’éventuels dégâts commis lors d’événements non autorisés. ■