L’ouverture d’une librairie proche de l’extrême droite crée des remous

A Carouge, une bibliothèque propose un catalogue de livres d’occasion au nom de la «défense de la culture européenne» et d’une identité menacée de disparition

«Lire délivre» pour slogan et un casque spartiate en guise de logo. Répondant au nom de la ville de l’antiquité Sparte, une association culturelle inaugure son local samedi à Carouge, qui a vocation à ouvrir périodiquement.

Son arrivée à Genève, relayée par le groupuscule nationaliste et d’extrême droite Résistance helvétique, suscite des inquiétudes, notamment de la section genevoise de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra).

L’association Sparte se donne pour mission de «promouvoir la culture européenne» et de «lutter par le livre contre le mondialisme voulant la disparition de nos cultures et de nos identités». Elle défend une «vision essentialiste de la culture», estime Carole Fumeaux, secrétaire générale de la Licra-Genève. «Cette représentation est potentiellement dangereuse et peut amener à des dérapages racistes», souligne-t-elle.

La commune de Carouge se dit également interpellée par les objectifs de l’association, et souhaite vérifier sa légalité. «Les déclarations de l’association semblent heurter les valeurs de tolérance et d’ouverture prônées par la ville de Carouge», déclare Stéphanie Lammar, conseillère administrative. «Son appel tranche avec l’histoire cosmopolite de la ville de Carouge, qui accueille notamment un cimetière juif, un temple protestant et une église catholique», rappelle-t-elle.

Une catégorie «politique et doctrine»

Une diversité qui ne trouve pas d’écho au sein du catalogue en ligne de la librairie Sparte. Cette dernière fait la part belle aux livres de l’idéologue d’extrême droite Alain Soral, qui côtoient le récit Bâtir le foyer blanc rédigé par Arthur Kemp, ancien membre de la formation politique néonazie British National Party. Viennent s’ajouter des biographies de Louis-Ferdinand Céline, écrivain français controversé en raison de son antisémitisme ou encore des écrits de Charles Maurras, fervent pétainiste. Cette liste n’est pas exhaustive. Sparte propose également des livres moins connotés, comme les carnets de Léonard de Vinci ou le Dictionnaire amoureux de Montaigne rédigé par André Comte-Sponville.

«Nous avons une catégorie «politique et doctrine» s’intéressant aux mouvements qui ont éclos en Europe, que ce soit le national-socialisme, le fascisme, le franquisme, le Cercle Proudhon, l’Action française, le communisme, le trotskisme», énumère un membre de l’association, qui préfère conserver l’anonymat. Il se défend de toute accointance avec l’extrême droite: «Vous trouverez des livres chrétiens sans que nous soyons fanatiques, des livres sur les relations hommes-femmes sans que nous soyons misogynes, des livres expliquant le côté «socialiste» du national-socialisme, sans pour autant être «nazis» ou «racistes».»

L’association justifie sa démarche par la difficulté de trouver ces écrits dans les librairies romandes. «Nous n’aurions pas ouvert de site internet et encore moins de local si les textes diffusés pouvaient se trouver ailleurs», réagit le représentant. Le local justement met dans l’embarras Wincasa, la régie chargée du Centre commercial de Carouge. Elle indique ne pas avoir été informée de cette location, qui ne concerne pas une arcade commerciale mais un bureau. Elle précise procéder à une analyse de la situation avec son agence partenaire, Projekt Interim. Celle-ci est chargée des contrats de sous-location d’une partie des bureaux du centre commercial. Elle n’a pas souhaité s’exprimer dans le cadre de cet article.

Le canton de Genève n’est pas exempté d’incidents liés à l’extrême droite. Trois membres présumés de l’ancien groupuscule d’extrême droite Kalvingrad patriote ont comparu mardi devant la justice. Jugés en appel, ils sont accusés d’avoir fait des saluts nazis devant Uni Mail en 2019, rappelle Le Courrier. ■