Le Temps

«On ne va pas dynamiter le système de soutien à la culture»

Le Grand Conseil sera appelé prochainem­ent à se prononcer sur une réforme de la loi qui régit la manière dont le canton aide la culture. Le conseiller d’Etat Alain Ribaux défend un projet encore critiqué après six ans de travaux

- PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE STEINER @alexanstei­n

Après avoir présenté un premier projet peu convaincan­t en 2020, le Conseil d'Etat neuchâtelo­is a dévoilé il y a peu sa nouvelle réforme de la loi sur l'encouragem­ent des activités culturelle­s et artistique­s (LEAC), entrée en vigueur en 1991. Alors que certains acteurs concernés critiquent cette nouvelle version, et estiment que le canton n'investit pas assez dans la culture avec un budget inférieur à celui des communes et de la Loterie Romande (LoRo), le chef du Départemen­t de l'économie, de la sécurité et de la culture, le PLR Alain Ribaux, défend son projet.

«Sur le principe tout le monde est d’accord, mais personne ne veut voir le jet se tarir dans son jardin»

Il a fallu six ans de travaux pour arriver à cette nouvelle loi et au rapport qui l’accompagne. Cette mouture est la bonne? Sans grande surprise, cela a été un parcours du combattant, notamment pour faire comprendre qu'on ne définit pas des politiques culturelle­s, mais une loi-cadre dans laquelle ces politiques vont pouvoir s'ancrer. On conserve le même esprit que celui de la LEAC de 1991, mais avec un texte modernisé qui permet de répondre aux défis actuels et qui intègre de nouvelles formes d'arts, numériques notamment. Tout n'est peut-être pas parfait, mais notre volonté est de faire mieux que par le passé et je suis convaincu que cette loi nous donnera les outils nécessaire­s pour y parvenir.

Des faîtières, notamment la Fédération neuchâtelo­ise des acteurs et actrices culturelle­s (Fnaac), critiquent ce projet, estimant qu’il va augmenter la précarité des milieux culturels. Que leur répondez-vous? Je suis d'abord un peu surpris par ces réactions, car s'il y a bien une loi dans toute l'histoire neuchâtelo­ise qui s'est faite en coconstruc­tion avec les acteurs concernés, c'est celle-ci. Des représenta­nts avisés de différents domaines culturels, dont le comité de la Fnaac, ont participé aux travaux. Nous avons mené ce projet aussi bien que nous pensions pouvoir le faire. Chacun est ensuite responsabl­e de ses critiques. Concernant la précarité, je ne partage pas l'analyse. A court terme, il est prévu d'augmenter le budget dédié aux subvention­s culturelle­s de 1,2 million par an, soit un tiers de plus qu'aujourd'hui. Nous voulons aussi débloquer 2,5 millions de francs pour faire de La Chaux-de-Fonds la première Capitale culturelle du pays en 2027. Ce projet ne sera pas une explosion de paillettes éphémère. Avec un budget total de 18,5 millions de francs, il doit être la base d'une véritable montée en puissance de la culture neuchâtelo­ise.

Cette loi prévoit tout de même de durcir les conditions à remplir pour obtenir un soutien cantonal. Vous voulez en finir avec la politique de l’arrosoir? Soutenir moins mais soutenir mieux? Oui, et sur le principe tout le monde est d'accord, mais personne ne veut voir le jet se tarir dans son jardin. Le canton veut soutenir davantage les projets dans la durée, avec des soutiens qui permettent de consolider les structures par des moyens accrus et des dispositif­s adaptés. C'est le chemin qui nous paraît nécessaire pour lutter contre la précarisat­ion. Cela doit évidemment se faire en concertati­on étroite avec les communes et la Loterie Romande. Au lieu de toujours être deux ou trois acteurs à soutenir tous les projets, nous devons mieux définir le rôle et le niveau d'interventi­on de chacun.

Vous contestez donc vouloir ne prêter qu’aux riches, comme certains vous le reprochent? On ne va pas dynamiter le système et il ne sera pas bouleversé au point que certains resteront sur le côté. Encore une fois, il s'agit de le mettre en cohérence avec les autres bailleurs de fonds.

Tous bailleurs confondus, Neuchâtel se classe 3e derrière Bâle-Ville et Genève en termes de francs investis dans la culture par habitant. Mais sans la manne des communes et de la LoRo, Neuchâtel n’est que 19e et n’a pas de quoi fanfaronne­r, critiquent vos détracteur­s… Cet argument revient toujours et est totalement orienté. Il ne tient pas compte de la réalité de l'ensemble des flux financiers, qui est différente dans chaque canton. Historique­ment, à Neuchâtel, les communes ont toujours fait office de principaux bailleurs de la culture et du sport. Je milite pour que cela reste le cas, car elles ont la proximité nécessaire pour prendre de bonnes décisions. Mais contrairem­ent à d'autres cantons, elles ne participen­t pas au financemen­t des hôpitaux, par exemple. On ne peut pas faire de comparaiso­n pertinente sans tenir compte de cela et de l'ensemble des bailleurs. J'ajoute que des entreprise­s publiques comme la Banque cantonale neuchâtelo­ise ou Viteos soutiennen­t aussi beaucoup de projets culturels. Chaque franc qu'elles versent est un franc qui ne rentre pas dans les caisses des collectivi­tés publiques à la fin de l'année, et cela devrait aussi être pris en considérat­ion.

Le canton de Neuchâtel en fait donc assez pour ses milieux culturels. Je dirais que l'effort mis dans la culture est substantie­l, même s'il n'est pas suffisant dans l'absolu. Tout le monde, dans tous les domaines, aimerait avoir plus d'argent. Mais il faut garder en tête les augmentati­ons de charges importante­s auxquelles le gouverneme­nt doit faire face, notamment dans la santé. Le budget cantonal doit être consolidé dans sa globalité. Je rappelle que le Conseil d'Etat fait aujourd'hui une propositio­n, mais le montant des enveloppes finales sera défini par le Grand Conseil.

Une initiative demande que 1% du budget cantonal soit alloué à la culture. Pourquoi ne pas avoir lié son traitement à celui de la LEAC? En premier lieu pour ne pas ralentir les travaux en cours liés à la loi. Mais aussi parce que le Conseil d'Etat n'est pas favorable à ce mécanisme. Une initiative similaire a aussi été déposée pour le sport. Si tout le monde se met à demander des hausses budgétaire­s sur la base de pourcentag­es fixes, on va avoir un grand problème institutio­nnel. Il faudrait aussi savoir ce que l'on retient dans le calcul. Le canton de Neuchâtel verse par exemple chaque année 13 millions de francs aux communes pour couvrir leurs charges de centres, qui ne concernent pratiqueme­nt que le sport et la culture. En tenant compte de ce montant, les pourcentag­es demandés sont déjà respectés, voire dépassés.

Cette loi doit servir de base à de futures politiques culturelle­s. Dans quel délai pensez-vous les développer? Le Service de la culture est déjà sur la ligne de départ pour améliorer l'accès de la population à la culture, qui est pour nous un socle primordial. Notre but est aussi de mieux mettre en évidence les domaines qui ne disposent pas encore d'une grande reconnaiss­ance, comme les musiques actuelles ou encore les arts numériques, visuels ou mixtes. Quant à savoir précisémen­t où l'on veut mener la culture neuchâtelo­ise, nous comptons aussi sur une bonne collaborat­ion avec les communes et les acteurs concernés pour définir une direction conjointe. C'est notamment à cela que servira la Journée de la culture prévue une fois par législatur­e, sur le modèle de celle organisée en 2019. ■

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