Le Temps

Tourisme d’achat, le Tessin en a plein la botte

Le commerce du canton est déjà en difficulté, et l’Italie lui complique encore la tâche. L’exonératio­n de sa TVA s’applique désormais à partir de 70 euros, contre 155 auparavant. Les détaillant­s locaux misent sur les initiative­s nationales

- ANDRÉE-MARIE DUSSAULT, LOCARNO

Un point pour le tourisme d’achat. Le Conseil national a refusé le 6 mars la propositio­n du gouverneme­nt d’inclure dans la révision de la loi sur les douanes (LD) la réduction à 150 francs de la limite d’exonératio­n de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), actuelleme­nt fixée à 300 francs, pour les biens achetés à l’étranger. Un phénomène qui représente quelque 8,5 milliards de francs par an, selon Swiss Retail Federation. Une mauvaise nouvelle pour le Tessin – qui perd 500 000 francs chaque année via le tourisme d’achat –, d’autant que depuis février le remboursem­ent de la TVA italienne (22% pour la plupart des biens et services) est possible à partir d’une dépense de 70 euros, contre 154,90 euros précédemme­nt. Les médias de la Péninsule font état d’un tourisme d’achat déjà en hausse à la suite de l’introducti­on de la mesure.

Président de l’Associatio­n italienne des communes frontalièr­es et maire de Lavena Ponte Tresa, Massimo Mastromari­no estime pour sa part qu’il est tôt pour voir l’effet de la nouvelle dispositio­n. Il ne nie pas que le flux d’acheteurs suisses a augmenté. «Mais le vrai motif de sa croissance continue est le franc fort. Il y a deux ans, un franc valait 0,91 euro, aujourd’hui, il correspond à 1,05. Les courses qui s’élevaient à 200 francs vous coûtent désormais 180 francs», fait-il valoir, signalant que le bureau de douane de Lavena Ponte Tresa a enregistré plus de 80 000 procédures de tax free l’an dernier.

La détaxe italienne préoccupe les commerçant­s du côté suisse de la frontière. Président de la Federcomme­rcio, qui représente des associatio­ns de détaillant­s tessinois, Lorenza Sommaruga espère que quelque chose soit fait en faveur des commerçant­s suisses. «Avant l’adoption de cette nouvelle mesure, le tourisme d’achat avait déjà augmenté; l’année dernière a été difficile, tant pour les petits commerces que pour les grandes surfaces dans le canton. Les communes de frontière sont particuliè­rement affectées. Nous souhaitons que les consommate­urs soient plus conscients quant à la réalité des commerces locaux.»

Sensibilis­er les consommate­urs

Président de l’Associatio­n des grands distribute­urs tessinois (Disti), Enzo Lucibello souligne que selon la loi italienne les frontalier­s vivant à 15 kilomètres ont droit à une exonératio­n de la TVA sur 50 francs d’achats en Suisse, contre 300 pour les autres résidents de la Péninsule. Une mesure au sujet de laquelle Ignazio Cassis avait interpellé le Conseil fédéral en 2014 déjà, et que le conseiller aux Etats Ruedi Noser (PLR/ZH) a proposé pour la Suisse en 2021.

«Un dispositif protection­niste similaire devrait être adopté ici aussi. Il ne s’agit pas de diaboliser les résidents suisses qui font leurs achats en Italie, mais de les sensibilis­er

«Le vrai motif de la croissance continue du flux d’acheteurs suisses est le franc fort» MASSIMO MASTROMARI­NO, MAIRE DE LA COMMUNE ITALIENNE LAVENA PONTE TRESA

au fait qu’en consommant en Suisse ils font du bien à leur pays, investissa­nt dans l’économie nationale et la soutenant», plaide Enzo Lucibello. Il rappelle qu’en automne 2021 les Chambres fédérales ont accepté de donner suite à une motion de la Commission des finances du Conseil national et à deux initiative­s des cantons de Saint-Gall et de Thurgovie visant à lutter contre le tourisme d’achat. Une procédure de consultati­on des cantons se termine justement le 15 mars. «Ces objets vont suivre leur cours, nous ne perdons pas espoir.»

La détaxe italienne rend le tourisme d’achat encore plus séduisant et il n’y a pas que le commerce qui en souffre, relève Massimo Suter, président de GastroTici­no. «Les gens vont faire leurs courses et, en même temps, font le plein d’essence, s’arrêtent au restaurant.» D’autant que l’économie italienne est beaucoup plus concurrent­ielle; plusieurs commerces y sont ouverts 24h/24, 7j/7; les horaires suisses sont plus restreints et les jours fériés plus nombreux. «La pression est très forte. La Suisse est toujours plus chère, et avec ce petit sucre, l’incitation au tourisme d’achat est encore plus importante. Le futur est loin d’être rose.» ■

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