TikTok sur la sellette aux Etats-Unis
La Chambre des représentants vient d’approuver un texte visant à bannir la plateforme chinoise des Etats-Unis. Rien n’est fait mais la menace se fait toujours plus pressante, alors que le projet de loi reçoit le soutien tant des républicains que des démoc
Vendre ou être banni. C'est à peu de chose près la seule option qu'une partie des élus américains veut laisser à ByteDance, propriétaire chinois de TikTok, pour que l'application reste accessible aux Etats-Unis. Dans un rare effort de communion, démocrates et républicains – qui osent défier Trump sur le sujet – de la Chambre des représentants ont accepté dans la nuit un projet de loi allant dans ce sens par 352 voix pour et 65 contre. Ce n'est pas la première fois que Washington s'en prend à la plateforme, qui est déjà dans le viseur depuis 2020. Mais cette première étape de la Chambre basse franchie rend la menace plus sérieuse que jamais.
Les reproches sont les mêmes: ByteDance est jugée trop proche de Pékin et les données des utilisateurs récoltées par l'application mettent en danger la sécurité des Etats-Unis. Depuis juin 2023, les employés de l'administration fédérale, ainsi que ceux de 34 Etats, ont l'interdiction de télécharger TikTok sur leur appareil professionnel. D'où la volonté de forcer son propriétaire à la vente, afin de l'éloigner de l'influence du Parti communiste chinois. Ce projet de loi a néanmoins une longue route devant lui et doit encore passer devant le Sénat – où il n'est pas certain qu'il trouve le même engouement – puis être signé par Joe Biden. S'il parvient à se frayer un chemin jusque-là, il risque surtout d'être attaqué en justice car beaucoup considèrent qu'il contrevient au premier amendement de la Constitution, protégeant entre autres la liberté d'expression.
Outre-Atlantique, la crainte est grande de voir disparaître l'application des «app stores». Plus de 170 millions d'Américains scrollent sur TikTok, un large public que la plateforme n'a pas manqué de mettre à contribution pour bloquer ce texte. Le réseau social a même publié le 7 mars un message qui enjoint aux internautes d'«empêcher l'arrêt de TikTok», proposant même un bouton pour appeler directement leur représentant au Congrès… Ce qui a provoqué d'ailleurs une cacophonie d'appels, certains «semblant être des adolescents, tandis que d'autres raccrochaient dès qu'ils étaient connectés», rapportait le New York Times en fin de semaine dernière.
Joe Biden et Donald Trump unis par l’hypocrisie
Des manifestants se sont rassemblés devant le Capitole pour protester contre cette possible interdiction, brandissant des slogans comme: «TikTok m'a aidé à faire grandir mon commerce», «#KeepTikTok» ou «TikTok a changé ma vie pour le mieux». Selon Oxford Economics, plus de sept millions d'Américains y vendent leurs produits et «l'activité des PME sur TikTok a contribué à hauteur de 24,2 milliards de dollars au PIB des Etats-Unis en 2023, tout en soutenant 224 000 emplois», poursuit la société de conseil en économie. C'est d'ailleurs l'un des arguments que la plateforme chinoise a mis en avant par la voix de l'un de ses porte-paroles Alex Haurek: «Nous espérons que le Sénat examinera les faits, écoutera ses électeurs et se rendra compte de l'impact sur l'économie.» Le patron de TikTok, Shou Zi Chew, s'est également exprimé sur sa plateforme, s'inquiétant du sort des «propriétaires de petites entreprises qui comptent sur TikTok pour boucler leurs fins de mois, des enseignants qui encouragent l'apprentissage de millions d'étudiants […] et de tous ceux qui trouvent de la joie» sur le réseau social.
«En 2023, l’activité des PME sur TikTok a contribué à hauteur de 24,2 milliards de dollars au PIB américain» OXFORD ECONOMICS
Ce projet de loi n'a pas manqué de faire réagir Pékin: «Ces dernières années, bien que les Etats-Unis n'aient jamais trouvé de preuve que TikTok représentait une menace pour la sécurité nationale américaine, ils n'ont jamais cessé de s'en prendre au [réseau social]», s'est emporté Wang Wenbin, porte-parole du Ministère des affaires étrangères chinois. La menace de cette interdiction suscite aussi une certaine incompréhension de par les soutiens – Joe Biden – ou les oppositions – Donald Trump – qu'elle a reçus. Notre journaliste Anouch Seydtaghia y voit une forme d'hypocrisie alors que le président vient de s'y inscrire pour faire croître son électorat auprès des jeunes et que le milliardaire républicain avait déjà voulu en 2020 vendre TikTok à une entreprise américaine.
Parmi les détracteurs de ce projet de loi, les accusations varient. Côté chinois, on reproche à Washington sa guerre permanente à l'encontre de Pékin. Pour le Global Times, média proche du gouvernement chinois, «l'excuse unique de la «menace pour la sécurité nationale» est toujours utilisée. La «présomption de culpabilité» sans fondement et sans aucune preuve est toujours appliquée, et la violation totale des principes de l'économie de marché et de la concurrence loyale est adoptée.»
Encore au conditionnel
Pour une frange de la gauche américaine, cette interdiction est motivée par le contenu qui circule sur l'application, favorisant, selon certains élus, des vidéos anti-Israël. Le sénateur républicain Marco Rubio affirmait par exemple sur X en novembre dernier que «TikTok est un outil que la Chine utilise pour faire de la propagande auprès des Américains, et maintenant il est utilisé pour minimiser le terrorisme du Hamas». Pour le média de gauche radicale Jacobin, le fait que Joe Biden décide de signer ce projet de loi s'il parvient jusqu'à son bureau est «une tentative extrême de censure de l'Etat dont l'objectif est d'empêcher les [citoyens] de s'opposer à la politique étrangère américaine en cours, motivée explicitement par la peur des élites face à un mouvement de protestation antiguerre en plein essor qui a largement réussi à persuader le public américain.»
Quoi qu'il en soit, les tiktokeurs ne risquent pas de perdre leur gagne-pain ou leur passe-temps du jour au lendemain. Cette interdiction doit encore passer l'étape du Sénat où elle pourrait se voir retouchée. Certains pointent aussi sa potentielle inconstitutionnalité car le texte vise une entreprise spécifique, dans ce cas TikTok et ByteDance. En cas de signature par le président, la plateforme aurait ensuite six mois pour trouver un acheteur, ce qui pourrait se révéler compliqué vu le prix que représenterait un tel rachat, estimé à 50 milliards de dollars selon certains analystes, réduisant drastiquement le nombre d'entreprises américaines pouvant allonger un tel montant. Et si ce texte devient loi, il est pratiquement certain que ByteDance contestera sa légalité devant la justice, retardant son application.
A noter enfin que les EtatsUnis ne sont pas les premiers à avoir banni l'application des smartphones de ses citoyens. L'Union européenne, le Canada, le Royaume-Uni, l'Australie ou encore la Nouvelle-Zélande l'ont interdite sur les téléphones professionnels des membres du gouvernement ou de l'administration publique. L'Inde, le Népal et l'Afghanistan l'ont quant à eux complètement interdite, et Taïwan envisage de faire de même. L'Indonésie et le Pakistan ont également procédé à des interdictions temporaires, avant de faire marche arrière. La Suisse s'est également penchée sur la question, certains parlementaires demandant son interdiction en mars 2023. La Confédération a également demandé à la Commission européenne des précisions sur les raisons qui l'ont menée à interdire l'application pour ses employés. ■