La Comco augmente la pression sur le génie civil neuchâtelois
Le gendarme de la concurrence a annoncé étendre une enquête à 19 entreprises neuchâteloises actives dans la construction. Elles sont soupçonnées d’avoir mis en place des ententes lors d’appels d’offres
De nouvelles perquisitions et une liste d'entreprises suspectes qui explose: la Commission de la concurrence met le secteur neuchâtelois du génie civil et du bâtiment sous pression. Elle a annoncé hier avoir étendu son enquête visant à déterminer si des sociétés ont coordonné leurs offres et leurs prix lors d'appels d'offres publics et privés. Elles sont désormais 19 à être soupçonnées, contre trois lors de l'ouverture de la procédure en novembre. Parmi elles, de grandes entreprises bien implantées dans le canton, mais aussi des groupes d'ampleur nationale. Une centaine de cas survenus entre 2013 et 2023 sont potentiellement concernés.
Tout est parti d'une autre procédure lancée en 2022, toujours pendante. «En travaillant sur ce dossier lié à l'entretien des routes, nous avons découvert des éléments qui méritaient d'être approfondis», indique Frank Stüssi, directeur suppléant de la Comco. De fil en aiguille, de nouveaux indices sont apparus et le périmètre des entreprises suspectées s'est étendu.
Les contribuables passent à la caisse
Concrètement, il s'agira d'évaluer si ces entreprises se sont entendues sur le montant de leurs devis et sur qui allait remporter tel ou tel marché. Mais aussi de déterminer le degré et la durée d'implication de chacune. Pour ce faire, des copies de leurs dossiers informatiques et papier ont été perquisitionnées. «Nous menons aussi des auditions. A ce stade, je ne peux pas vous en dire plus sur la manière dont collaborent les sociétés ciblées», ajoute Frank Stüssi.
Le directeur suppléant rappelle que de telles ententes peuvent être extrêmement nuisibles pour la manne publique et l'économie: «Les collectivités publiques n'obtiennent pas les effets de la concurrence qu'elles attendent, et ce sont les contribuables qui en paient le prix. Dans une autre affaire au Tessin, nous avons constaté que les prix pratiqués ont diminué d'environ 30% après qu'un cartel a été démantelé.»
Si les soupçons de la Comco venaient à se confirmer, des amendes seront infligées. «Elles se basent sur le chiffre d'affaires, mais peuvent être réduites si une entreprise se dénonce ou collabore bien, ou si elle n'est pas en mesure de payer. Pour nous, mettre en lumière de tels actes et sensibiliser les maîtres d'oeuvre compte plus que les sanctions.» A l'heure actuelle, la présomption d'innocence s'applique.
La procédure en cours à Neuchâtel, dont la durée devrait avoisiner trois ans, n'est de loin pas une première pour la Comco. Elle s'est montrée très offensive sur ce sujet depuis une dizaine d'années, principalement en Suisse alémanique. Aux Grisons, notamment, plus de 1000 cas d'ententes illégales ont été recensés. «Entre nos nombreuses décisions et les prises de position des faîtières de la branche indiquant qu'elles ne toléreraient plus ce type de procédé, nous avons tout de même été surpris de tomber sur de nouveaux indices en Suisse romande.»
Incompréhension des entrepreneurs
La surprise est aussi de mise pour la Fédération neuchâteloise des entrepreneurs (FNE), mais pour une autre raison. «Dans son communiqué, la Comco publie le nom des entreprises sous enquêtes alors qu'aucune n'est pour l'heure condamnée. C'est incompréhensible qu'elles soient ainsi jetées en pâture à la vindicte populaire au début d'une longue enquête. Cette exposition médiatique peut être particulièrement néfaste pour elles», déplore son secrétaire général Jean-Claude Baudoin.
Sur le fond, la FNE juge les ententes cartellaires inadmissibles. Mais elle relativise également: «La Comco parle d'une centaine de cas sur dix ans, alors que les entreprises neuchâteloises répondent à 2000 ou 3000 offres par an. La concurrence est terrible, et s'il y avait des ententes tellement évidentes qu'elles fausseraient le marché, tous les donneurs d'ordres se plaindraient que les prix sont trop élevés en comparaison intercantonale.»
Lui attend surtout une application stricte des nouvelles lois sur les marchés publics: «Les adjudications ne doivent pas dépendre uniquement du prix, mais aussi de la qualité et des compétences proposées!» ■