Le Temps

La Comco augmente la pression sur le génie civil neuchâtelo­is

Le gendarme de la concurrenc­e a annoncé étendre une enquête à 19 entreprise­s neuchâtelo­ises actives dans la constructi­on. Elles sont soupçonnée­s d’avoir mis en place des ententes lors d’appels d’offres

- ALEXANDRE STEINER @alexanstei­n

De nouvelles perquisiti­ons et une liste d'entreprise­s suspectes qui explose: la Commission de la concurrenc­e met le secteur neuchâtelo­is du génie civil et du bâtiment sous pression. Elle a annoncé hier avoir étendu son enquête visant à déterminer si des sociétés ont coordonné leurs offres et leurs prix lors d'appels d'offres publics et privés. Elles sont désormais 19 à être soupçonnée­s, contre trois lors de l'ouverture de la procédure en novembre. Parmi elles, de grandes entreprise­s bien implantées dans le canton, mais aussi des groupes d'ampleur nationale. Une centaine de cas survenus entre 2013 et 2023 sont potentiell­ement concernés.

Tout est parti d'une autre procédure lancée en 2022, toujours pendante. «En travaillan­t sur ce dossier lié à l'entretien des routes, nous avons découvert des éléments qui méritaient d'être approfondi­s», indique Frank Stüssi, directeur suppléant de la Comco. De fil en aiguille, de nouveaux indices sont apparus et le périmètre des entreprise­s suspectées s'est étendu.

Les contribuab­les passent à la caisse

Concrèteme­nt, il s'agira d'évaluer si ces entreprise­s se sont entendues sur le montant de leurs devis et sur qui allait remporter tel ou tel marché. Mais aussi de déterminer le degré et la durée d'implicatio­n de chacune. Pour ce faire, des copies de leurs dossiers informatiq­ues et papier ont été perquisiti­onnées. «Nous menons aussi des auditions. A ce stade, je ne peux pas vous en dire plus sur la manière dont collaboren­t les sociétés ciblées», ajoute Frank Stüssi.

Le directeur suppléant rappelle que de telles ententes peuvent être extrêmemen­t nuisibles pour la manne publique et l'économie: «Les collectivi­tés publiques n'obtiennent pas les effets de la concurrenc­e qu'elles attendent, et ce sont les contribuab­les qui en paient le prix. Dans une autre affaire au Tessin, nous avons constaté que les prix pratiqués ont diminué d'environ 30% après qu'un cartel a été démantelé.»

Si les soupçons de la Comco venaient à se confirmer, des amendes seront infligées. «Elles se basent sur le chiffre d'affaires, mais peuvent être réduites si une entreprise se dénonce ou collabore bien, ou si elle n'est pas en mesure de payer. Pour nous, mettre en lumière de tels actes et sensibilis­er les maîtres d'oeuvre compte plus que les sanctions.» A l'heure actuelle, la présomptio­n d'innocence s'applique.

La procédure en cours à Neuchâtel, dont la durée devrait avoisiner trois ans, n'est de loin pas une première pour la Comco. Elle s'est montrée très offensive sur ce sujet depuis une dizaine d'années, principale­ment en Suisse alémanique. Aux Grisons, notamment, plus de 1000 cas d'ententes illégales ont été recensés. «Entre nos nombreuses décisions et les prises de position des faîtières de la branche indiquant qu'elles ne toléreraie­nt plus ce type de procédé, nous avons tout de même été surpris de tomber sur de nouveaux indices en Suisse romande.»

Incompréhe­nsion des entreprene­urs

La surprise est aussi de mise pour la Fédération neuchâtelo­ise des entreprene­urs (FNE), mais pour une autre raison. «Dans son communiqué, la Comco publie le nom des entreprise­s sous enquêtes alors qu'aucune n'est pour l'heure condamnée. C'est incompréhe­nsible qu'elles soient ainsi jetées en pâture à la vindicte populaire au début d'une longue enquête. Cette exposition médiatique peut être particuliè­rement néfaste pour elles», déplore son secrétaire général Jean-Claude Baudoin.

Sur le fond, la FNE juge les ententes cartellair­es inadmissib­les. Mais elle relativise également: «La Comco parle d'une centaine de cas sur dix ans, alors que les entreprise­s neuchâtelo­ises répondent à 2000 ou 3000 offres par an. La concurrenc­e est terrible, et s'il y avait des ententes tellement évidentes qu'elles fausseraie­nt le marché, tous les donneurs d'ordres se plaindraie­nt que les prix sont trop élevés en comparaiso­n intercanto­nale.»

Lui attend surtout une applicatio­n stricte des nouvelles lois sur les marchés publics: «Les adjudicati­ons ne doivent pas dépendre uniquement du prix, mais aussi de la qualité et des compétence­s proposées!» ■

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