Bach célébré pour son humanité
A l’Espace Saint-Gervais à Genève, Christian Robert-Charrue incarne, dans un solo drôle et touchant, un musicologue qui pose la question de l’inspiration divine du compositeur allemand
Tous deux adulent Bach, mais pas pour les mêmes raisons. Caroline est convaincue que tant de beauté ne peut être que l’oeuvre de la grâce divine venue ajouter sa transcendance aux compositions. René, son mari et musicologue de son état, refuse l’idée que ce supplément d’âme dépende de la foi. C’est que ce personnage incarné par Christian Robert-Charrue, 78 ans de précision théâtrale, rumine sa colère. Tout en racontant la vie et l’oeuvre du compositeur allemand, le conférencier pleure la disparition de son épouse et l’éloignement de son fils. Sur la scène de la Salle Trocmé, dans l’Espace Saint-Gervais, René arrivera-t-il à trouver l’apaisement?
La geste de la fugue
Réponse à la fin de Bach, ma femme et moi, un solo attachant que l’on doit à Catherine Fuchs, professeure de français à la retraite et hautboïste de talent. Ce n’est pas la première fois que cette plume alerte collabore avec Cyril Kaiser, qui signe la mise en scène. L’écrivaine publiée chez Campiche et Zoé a déjà composé des textes pour les spectacles consacrés à Calvin en 2009 et Rousseau en 2011. Elle connaît donc à la perfection le ton espiègle du metteur en scène originaire de La Chaux-de-Fonds et sa passion pour l’érudition.
Car, oui, on apprend beaucoup sur Bach, lors de cette vraie fausse conférence qui pose la question de l’inspiration. On apprend que le musicien a perdu ses parents et sa jeune épouse, avant de perdre nombre de ses enfants. Et qu’il n’a pas été le premier choix pour devenir le Kantor (chef de choeur) de l’église luthérienne Saint-Thomas, à Leipzig, en 1723. Plusieurs compositeurs, dont Telemann, lui étaient préférés et c’est à défaut que JSB a été finalement nommé. Joli clin d’oeil du destin (ou de l’aveuglement humain) lorsqu’on sait la profusion d’oeuvres majeures composées par le génie allemand.
Des oeuvres qui, des concertos aux cantates, en passant par les préludes et les fugues, bien sûr, défilent à la faveur de cette présentation pour le plus grand bonheur des spectateurs. On entend les tubes, comme les larmes de Pierre après son reniement dans La Passion selon saint Matthieu, le fameux «Erbarme dich» que Bach a étrangement écrit pour une voix féminine d’alto. Ou la brillante Toccata qui fait danser le conférencier. Mais on entend aussi des partitions moins connues, comme ce très beau choral «Ich ruf zu dir», qui, joué au piano plutôt qu’à l’orgue, était le morceau préféré de Caroline, raconte son époux René. Qui, plus tard, sorti des embruns du chagrin, sert une explication de la fugue, façon cabaret.
Enfilant des gants blancs, Christian Robert-Charrue se livre alors à un véritable numéro de musichall, poursuivant de ses assiduités les quatre voix qui se répondent et s’entrelacent. Dans cet exercice, qui montre l’agilité du septuagénaire qu’il est, le comédien genevois a des airs de Charlot et on se souvient qu’il a été un formidable Yvan, dans Art, de Yasmina Reza, au Poche, en 1999.
Du rire aux larmes
Parce que Cyril Kaiser aime mettre de l’air dans l’art, il prend soin de proposer un adieu à l’épouse adorée qui sourit en coin. Comme ce moment où le narrateur croit voir le fantôme de l’élue et, partant dans les coulisses sur ses traces, se casse la figure dans un gros fracas.
Les lumières de David Kretonic soulignent ce côté comique, tandis que le traitement du son de Jean Keraudran donne de la profondeur à l’évocation. Ces jours, à l’Espace Saint-Gervais, c’est l’humanité de Bach qui frémit et, à la fin de la représentation, mardi, des larmes aperçues dans le public sont venues confirmer la réussite de ce défi.
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