Le Temps

«Les Sénégalais en ont marre, ils veulent voter, ils veulent une alternativ­e»

Principaux opposants politiques au Sénégal, Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye ont été libérés. Le représenta­nt de leur coalition en Suisse, Abib Diop, explique les enjeux de l’élection présidenti­elle dont le premier tour se tiendra le week-end procha

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRÉDÉRIC KOLLER X @fredericko­ller

Nouveau rebondisse­ment dans le processus électoral au Sénégal. Dans la nuit de jeudi à vendredi, les deux principale­s figures de l’opposition, Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye, ont été libérées de prison. Des manifestat­ions de joie de leurs soutiens ont accueilli la nouvelle dans la capitale sénégalais­e et d’autres villes du pays. Si Ousmane Sonko, personnali­té la plus populaire au sein de la jeunesse, ne peut pas participer à l’élection, son remplaçant Bassirou Diomaye Faye fera, lui, campagne sous l’étendard de la coalition «Diomaye Président» qui rassemble une centaine de partis et mouvements d’opposition. Alors que le premier tour de scrutin se tient dans une semaine, Abib Diop, membre de la coalition et secrétaire national adjoint chargé des stratégies et de la prospectiv­e du Pastef, le parti fondé par Ousmane Sonko, livre son décryptage des enjeux. Il réside en Suisse depuis 2016 où il travaille dans l’industrie de biotechnol­ogie.

La libération d’Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye est-elle une surprise? C’est la suite logique du récent vote d’une loi d’amnistie par le parlement national avec le soutien de la majorité présidenti­elle. Nos députés ont voté contre cette loi qui amnistie certes les victimes de la répression politique mais qui offre aussi l’impunité aux meurtriers, les responsabl­es de la répression entre 2021 et 2024. On a perdu une soixantain­e de nos jeunes. Il y a des blessés, certains seront handicapés à vie.

Tous les détenus ont-ils été libérés? Nous estimons qu’il y avait 1200 personnes détenues pour motifs politiques. C’est en cours. Chaque jour, une centaine est libérée. Certains n’étaient pas des militants. Ils ont été arrêtés parce qu’ils avaient des opinions différente­s.

Ces libération­s sont une bonne nouvelle, non? Ousmane Sonko n’aurait jamais dû perdre sa liberté. Il a été lésé, injustemen­t privé d’une participat­ion à l’élection. Aujourd’hui, le Sénégal est une démocratie en recul, ce n’est plus un Etat de droit, la liberté de la presse est en recul.

Avec ces libération­s, l’opposition va-t-elle respecter le calendrier électoral? La liste des candidats a été arrêtée par le Conseil constituti­onnel. Il n’y a pas de changement. Bien que sa candidatur­e ait été invalidée, Ousmane Sonko ne demande pas de report de l’élection. Il a désigné son candidat en la personne de Bassirou Diomaye Faye et c’est lui le candidat de la coalition pour le premier tour du 24 mars. Nous ne savons pas encore la date du second tour. Quoi qu’il en soit, Macky Sall ne sera plus président le 2 avril. La passation de pouvoir doit avoir lieu ce jour-là.

N’y a-t-il pas un risque de débordemen­t, notamment de la part des soutiens d’Ousmane Sonko? Ousmane Sonko n’est pas obnubilé par le pouvoir. Ce n’est pas une fin en soi. Les Sénégalais en ont marre. Ils veulent voter, ils veulent une alternativ­e au pouvoir actuel. Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye, c’est la même chose. Ils ont le même parcours, comme inspecteur­s des impôts, la même probité, ils représente­nt le même espoir. Quel score visez-vous pour le premier tour auquel participen­t 19 candidats? Plus de 60% des voix. Notre coalition est forte de 167 partis et mouvements. Il y a toutes les forces vives et composante­s de la nation, des syndicats, la société civile, y compris des anciens responsabl­es du parti au pouvoir.

Quelles sont vos priorités? D’abord, la bonne gouvernanc­e. La société est gangrenée par la corruption. On veut créer des gardefous, un nouvel état d’esprit en mettant l’accent sur le patriotism­e. Comme en Suisse. Nous voulons défendre nos intérêts et développer nos ressources localement pour qu’elles profitent au peuple.

Quoi d’autre? La souveraine­té. Il faut un nouveau modèle de diplomatie, établir des partenaria­ts d’égal à égal. Dans quelques mois, le Sénégal va commencer l’exploitati­on du pétrole et du gaz. C’est une opportunit­é énorme. Cela doit profiter aux Sénégalais. Il y a aussi la souveraine­té monétaire. Nous voulons abandonner le franc CFA. Notre monnaie est fixée à l’euro, elle est surévaluée, cela pénalise nos exportatio­ns.

Vous voulez créer votre propre monnaie ou une monnaie en accord avec d’autres pays comme le Mali, le Niger et le Burkina Faso, par exemple? Pour l’heure, on pense local. Mais le panafrican­isme est au centre de la réflexion de notre coalition. Il faut d’abord réajuster notre économie comme le fait le Nigeria. Si l’on peut développer une monnaie régionale ensuite, c’est préférable.

«Le panafrican­isme est au centre de la réflexion de notre coalition»

Il reste une base militaire française à Dakar. Voulez-vous vous en débarrasse­r? Cela va être discuté, il faut voir le contexte. Cette présence n’est pas conforme à notre idéologie. Nous voulons l’entière souveraine­té. C’est une discussion d’experts. Mais notre armée est très bien formée, c’est un modèle dans la région.

Vous voulez aussi changer l’éducation. C’est notre troisième priorité. Il faut changer les mentalités. Nous voulons un nouveau type de Sénégalais, ayant l’esprit patriotiqu­e et d’entreprise.

Des nouveaux Sénégalais? Il faut plutôt reformuler ainsi: nous voulons une nouvelle éducation civique, développer l’intérêt commun, la lutte contre la corruption.

Cela passe-t-il par un abandon du français comme le prônent les panafrican­istes? La langue française reste jusqu’ici une langue officielle. On va renforcer l’apprentiss­age de l’anglais, par pragmatism­e, cela améliore l’employabil­ité. Il faut aussi renforcer l’alphabétis­ation de nos langues nationales. Tous les pays développés utilisent leur langue, c’est un facteur de succès. ■

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