Le Temps

Genève et ses airs de République des Kennedy

Les petits arrangemen­ts finissent par miner la confiance

- LAURE LUGON ZUGRAVU JOURNALIST­E

Comment agacer le bon peuple sans rien avoir à se reprocher? C'est l'exercice subtil auquel s'est livré le Conseil d'Etat genevois cette semaine, avec diligence et brio. Il suffisait d'y penser: nommer le père d'une ministre, Delphine Bachmann, à un poste clé de l'Etat, comme l'a relevé Léman Bleu.

Le gouverneme­nt a estimé qu'Alain Bachmann, trente ans au service du canton et ultra-qualifié, était la personne idéale pour devenir directeur général de l'Office cantonal des systèmes d'informatio­n et du numérique. Il succède à un homme promu il y a huit mois secrétaire général au départemen­t de sa fille. C'est sûr qu'Alain Bachmann connaît bien l'Etat, puisqu'il le connaît trop.

Je le répète afin d'éviter tout procès en sorcelleri­e: tout a été fait dans les règles de l'art, sa fille s'est récusée, le père était de loin le meilleur candidat, le collège a choisi l'excellence et on veut bien le croire. Si cela peut rassurer, l'homme répondra à la ministre Carole-Anne Kast et non à sa propre fille. Mais il sera forcément en lien avec la délégation gouverneme­ntale aux questions numériques, chargée de prioriser les investisse­ments et qui comprend aussi Nathalie Fontanet et Delphine Bachmann. Cette délégation ressemble désormais à une photo de famille. Nathalie Fontanet est la tante de Delphine Bachmann. Alain Bachmann est l'exbeau-frère de Nathalie Fontanet via son ex-époux. Vous me suivez? Le bout du lac revêt des airs de République des Kennedy.

Sans aller jusqu'à parler de dynasties, quoi de plus normal que la politique inspire des familles? Les Fontanet, les Maitre, les Hiltpold, les Schwaab, les Dittli, les Couchepin, etc. Mais à forcer le trait en choisissan­t des hauts fonctionna­ires en dépit des liens familiaux – l'ancien conseiller d'Etat Serge Dal Busco avait engagé son beau-fils comme collaborat­eur personnel –, les élus prennent le risque du discrédit. Il est cocasse de voir qu'ils balaient le problème d'image, eux si attentifs à la soigner, et au nom du respect de la légalité. Or il ne s'agit pas de ça, mais d'une mauvaise appréciati­on de la sensibilit­é des gens qui évoluent en dehors du bocal.

J'émets une hypothèse: se pourrait-il que l'entre-soi politico-étatique soit devenu si naturel à ses représenta­nts qu'ils aient perdu la faculté d'anticiper le jugement populaire? Apparemmen­t, seule Anne Hiltpold n'a pas souscrit à cette nomination. Ne comprennen­t-ils pas que leur petit monde est perçu comme une coterie un rien consanguin­e? A droite comme à gauche, les petits arrangemen­ts finissent par miner la confiance, que ce soient les nomination­s, les chaises musicales, les recyclages de députés dans des postes étatiques, l'octroi de subvention­s aux associatio­ns pilotées par des élus municipaux.

Dans le sketch qui nous occupe, je n'irais pas jusqu'à parler de népotisme. On ne saurait imaginer Delphine Bachmann défendant les intérêts de papa, ni Nathalie Fontanet, très à cheval sur les institutio­ns, s'aventurer à privilégie­r un ex-beau-frère devant la Commission des finances. Les députés, après avoir poussé une gueulante cette semaine, feraient mieux de laisser couler l'eau sous le pont du Mont-Blanc au lieu de menacer d'un projet de loi. Tout au plus cela devrait inspirer les artisans de la prochaine Revue genevoise: «Allô papa? Ici Delphine. Oui… je vais poser la question à tata.» Musique! Par ailleurs, il ne faut pas avoir fait Sciences Po Paris pour comprendre qu'en pareille circonstan­ce, le plus simple est encore de ne pas postuler. ■

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