Les confitures du Conseil fédéral
Les petits pays sont-ils condamnés à la médiocrité?
Il y a en tout cas quelque chose de désespérant à lire les tartines de confiture qui nous sont servies généralement en guise de réponse du Conseil fédéral aux interventions parlementaires, voire, hélas, aux initiatives populaires. Comme si le gouvernement avait d'emblée renoncé à toute hauteur politique. Donnant ainsi raison à cet aphorisme de Ramuz, tiré de Besoin de grandeur et que l'on a longtemps pu lire dans la rame CFF baptisée au nom du célèbre écrivain vaudois: «Les grandes pensées sont à l'étroit dans les petits pays… et les petits pays sont condamnés aux petites pensées dont ils finissent même par ne plus voir qu'elles sont petites.»
Mercredi matin, au conseiller national Marc Jost (Le Centre/BE), qui plaidait pour un service civil volontaire, le ministre de l'Economie, Guy Parmelin, a parlé boutique, lisant une antisèche préparée de longue date par son administration. Pourtant, «l'un des objectifs du service communautaire est de créer, parallèlement au service militaire, une opportunité de s'impliquer socialement et de renforcer l'esprit communautaire. Le but est de renforcer la cohésion sociale et d'encourager l'engagement des jeunes et des femmes», plaidait le député bernois. Circulez, il n'y a rien à espérer, a rétorqué le ministre, d'une part parce qu'un tel service entrerait en concurrence avec les besoins de l'armée en matière de recrutement, d'autre part parce que cela dégarnirait l'économie de la main-d'oeuvre dont elle a besoin. A l'idéalisme du motionnaire, l'administration répond petite cuisine.
Même réponse au ras des pâquerettes du Conseil fédéral, la semaine précédente, à l'initiative «Pour une Suisse qui s'engage (initiative service citoyen)». Ce texte, porté par un comité où l'on retrouve aussi bien le maire écologiste de Berne, Alec von Graffenried, le vice-président du Centre Charles Juillard que la conseillère aux Etats PLR Johanna Gapany, propose que toute personne de nationalité suisse accomplisse un service au bénéfice de la collectivité et de l'environnement, sous forme de service militaire ou de tout autre service équivalent. Niet du Conseil fédéral, avec pour première justification: «Le Conseil fédéral a déjà traité à maintes reprises le sujet d'une alimentation durable de l'armée et de la protection civile.» Sans doute. Et le gouvernement a vraisemblablement beaucoup de bonnes raisons de refuser la motion: coûts, problèmes constitutionnels, compatibilité avec l'interdiction du travail forcé, concurrence avec d'autres engagements volontaires, etc.
Mais ce Conseil fédéral «fait popote», s'occupe de ses confitures. Ni dans sa réponse à la motion défendue par le député Marc Jost, ni dans son rejet de l'initiative, il n'élève le débat pour aborder la question politique de fond: comment renforcer la cohésion nationale et sociale, l'esprit communautaire, l'égalité des femmes et des hommes dans l'engagement au service de tous? Tous ces fondements de la vie en communauté et de la démocratie sont mis à mal par la crise sociale et sanitaire du covid, fragilisés dans le climat d'insécurité en Europe, et font face à la montée des autoritarismes et des intolérances qui alimentent nos doutes sur l'avenir. Comme si toutes ces questions ne le concernaient pas. Nous avons un gouvernement d'administrateurs immobiliers. Ramuz avait retourné la question: «Ce n'est pas notre petitesse qui fait notre passivité; c'est au contraire notre passivité qui fait notre petitesse». ■