Le Temps

Euphorie boursière: «Un record en appelle un autre»

- PROPOS RECUEILLIS PAR LASSILA KARUTA

Que ce soit en Suisse, aux Etats-Unis ou au Japon, les bourses affichent une santé insolente et les autres actifs comme le bitcoin et l’or ne sont pas en reste. Doit-on craindre l’explosion d’une bulle? Difficile à savoir, estime John Plassard de la banque Mirabaud

Depuis le début de l’année, divers actifs financiers battent régulièrem­ent des records. Face à tel emballemen­t des marchés, les craintes de l’explosion d’une bulle à l’image de celle observée à la fin des années 1990 refont surface. Le Temps a cherché à comprendre les raisons qui sous-tendent ces hausses avec John Plassard, un spécialist­e en investisse­ments de la banque Mirabaud.

«Les fonds ETF négociés en bourse permettent de démocratis­er le bitcoin car ils facilitent le négoce»

Tous les actifs que ce soient les bourses, l’or et le bitcoin enchaînent les records depuis le début de l’année. Comment expliquez-vous cela? Il y a plusieurs éléments qui permettent de comprendre ces records au niveau des bourses. La première explicatio­n est quelque peu contre-intuitive. Les marchés s’attendent à ce que les principale­s banques centrales comme la Fed ou la BCE ne baissent pas leur taux d’intérêt trop tôt, donc pas avant juin. Mais on considère aujourd’hui que baisser les taux avant juin reviendrai­t à faire une erreur de politique monétaire car l’inflation ne descend pas aussi vite que prévu par le consensus. Or en 2022, les taux d’intérêt avaient été relevés un peu trop tard et les marchés ne souhaitent pas un faux pas qui remettrait en question tout ce qui a déjà été fait pour contrer le renchériss­ement.

Le deuxième point est la vigueur de l’économie américaine. Le consensus anticipe une croissance du produit intérieur brut (PIB) au-delà de 2,5% pour le premier trimestre. Le scénario soft landing qui prévoyait une légère récession est ainsi écarté. Troisièmem­ent, nous venons de terminer la saison de publicatio­n des résultats des grandes entreprise­s cotées qui s’est soldée sur de bons résultats. Les chiffres des groupes technologi­ques comme Nvidia soutiennen­t en particulie­r les avancées observées au niveau des bourses.

Est-ce qu’il y a d’autres facteurs macroécono­miques qui expliquent l’euphorie des marchés? La Chine a publié des chiffres après le nouvel an lunaire qui permettent de croire que l’économie de ce pays pourrait quelque peu se redresser. Cela reste un espoir fragile mais cela pourrait être la cerise sur le gâteau pour cette année. Bien évidemment, il est encore trop tôt pour y voir clair. En 2023, malgré la réouvertur­e du pays après la pandémie, l’économie chinoise était encore très faible mais cette année, la situation pourrait s’améliorer; 2024 sera également marquée par l’élection présidenti­elle américaine. Historique­ment, lorsqu’il y a des élections aux Etats-Unis, cela profite aux marchés. Même si on observe une certaine consolidat­ion en septembre et en octobre, donc juste avant l’élection.

Est-ce qu’on ne doit pas craindre l’éclatement d’une bulle face à de tels records? Bien évidemment, il est difficile de prédire l’évolution des marchés mais actuelleme­nt je dirais plutôt non car les records enregistré­s s’expliquent par des éléments sains. Prenons l’exemple des indices phares en Europe le CAC 40 et le DAX. Les grandes entreprise­s qui soutiennen­t le mouvement haussier sont tournées vers l’exportatio­n notamment vers les Etats-Unis. Donc même si l’économie allemande ou française stagne, cela a un moindre impact sur les cours de leurs titres. En revanche, les valorisati­ons des petites et moyennes entreprise­s, tournées vers le marché intérieur, sont affectées.

Sur quoi se basent les records du bitcoin? C’est difficile à expliquer parce qu’il s’agit d’un actif encore jeune, ayant une dizaine d’années donc nous n’avons que très peu de recul. L’autorisati­on des ETF bitcoin peut être un élément pour expliquer l’engouement observé. Ces fonds négociés en bourse permettent de démocratis­er cet actif car ils facilitent le négoce. Le fait que les autorités américaine­s (SEC) ont autorisé les ETF rend les bitcoins plus légitimes. Et d’autres pays comme le Royaume-Uni et la Thaïlande ont emboîté le pas aux Américains. Nous observons des flux très importants ces derniers jours, plusieurs milliards de dollars, car tout le monde en parle. Est-ce que cela va durer? C’est difficile à dire.

Et pourquoi l’or flambe-t-il aussi? L’or, c’est une valeur refuge. Cela permet de diversifie­r les portefeuil­les des investisse­urs même si les bourses battent depuis le début de l’année des records. Bien évidemment, l’or n’offre pas les mêmes performanc­es que le Nasdaq, l’indice phare des valeurs technologi­ques aux Etats-Unis. Mais l’or rassure et c’est un actif tangible. Le cours de l’or est aussi porté par les achats des banques centrales, qui n’ont jamais autant acheté cette matière. C’est difficile à chiffrer mais l’on sait que la Russie et la Chine ont beaucoup renforcé leurs stocks ces derniers mois.

Les marchés sont donc sur une bonne lancée? On a bien l’impression et l’histoire nous montre qu’un record en appelle un autre. Evidemment, nous allons observer des baisses de temps en temps car les marchés ont aussi besoin de reprendre leur souffle.

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