Andy Schmid, une légende du handball en reconversion expresse
Le meilleur joueur suisse de l’histoire dirigera la Nati pour la première fois exactement deux mois après y avoir disputé son dernier match sur le terrain. Rencontre
C’est le troisième entraînement de l’équipe de Suisse masculine de handball qu’Andy Schmid dirige et les 18 joueurs disputent, pour s’échauffer, un match… de football. C’est que le bonhomme aime ça, le football. Supporter de Liverpool, il n’hésite jamais à se référer au sport collectif le plus populaire du monde pour expliciter au profane telle ou telle situation de sa propre discipline.
Alors on se demande: Andy Schmid à la tête de la Nati, quel serait l’équivalent en football? La première idée qui surgit: Zinédine Zidane devenant l’entraîneur du Real Madrid. Mais la comparaison ne fonctionne qu’imparfaitement. Il s’est écoulé dix ans entre le dernier match de Zidane sous le maillot merengue et son premier comme entraîneur principal. Dans le cas de Schmid? Exactement deux mois, pas un jour de plus.
Le 16 janvier dernier, le demicentre de 40 ans disputait la dernière de ses 218 rencontres internationales contre la Macédoine du Nord, à l’Euro. Ce samedi 16 mars, il dirigera ses anciens coéquipiers contre le Danemark – champion du monde en titre – lors d’une partie amicale à Aarhus (16h). Une transition rapide comme une contre-attaque. Il faut imaginer Granit Xhaka prenant la tête de l’équipe de Suisse de football quelques semaines après sa retraite – disons à la suite de la Coupe du monde 2026. Un Granit Xhaka qui ferait l’unanimité et serait aussi le buteur le plus prolifique de la Nati. Mmh.
Andy Schmid est le meilleur joueur suisse de l’histoire du handball, et même un peu plus que ça. Il a évolué de 2010 à 2022 pour les Rhein-Neckar Löwen de Mannheim, dans un championnat allemand qui est considéré comme le plus relevé du monde, et dont il fut élu cinq fois meilleur joueur (2014, 2015, 2016, 2017 et 2018). Il fut l’un des grands artisans de la conquête de deux titres en Bundesliga, d’une Coupe d’Allemagne et d’un sacre en Ligue européenne.
6655 burgers en cadeau
Sa fidélité à un seul club, au mépris de nombreuses sollicitations, a contribué à sa popularité dans un pays dingue de handball. C’est en légende qu’il a été accueilli en janvier lors de l’Euro, alors qu’il était entré dans le dernier chapitre de sa carrière sportive en revenant au HC Kriens-Lucerne, club de première division suisse de son canton d’origine. Encore un choix qui nourrit l’impression d’un parcours sans faute. Il y a 10 jours, en marge de son tout dernier match contre Kadetten Schaffhouse, perdu 33-36, une fête d’adieu lui a été organisée, l’occasion de retirer son numéro 2 (il ne sera plus attribué à aucun joueur) et de lui remettre un bon-cadeau pour 6655 burgers à la cantine du club, en référence au total impressionnant de buts qu’il a marqués.
Les comptes rendus de la presse alémanique suggèrent que l’homme goûte moins ces hommages que l’engagement quotidien dans le sport qu’il aime. Quand on le rencontre cette semaine à Gümligen, dans la salle moderne du BSV
«Je ne vais pas traiter les joueurs différemment maintenant que je suis leur entraîneur» ANDY SCHMID, ENTRAÎNEUR
Berne et de l’Académie nationale de handball où s’entraîne l’équipe de Suisse, il a déjà les mains dans la poix et la tête aux schémas tactiques. Avec nos confrères spécialisés, il revient sur la déception de l’Euro, la défaite contre la Macédoine du Nord, les choses à améliorer. Son contrat de sélectionneur porte jusqu’à l’Euro que la Suisse accueillera en 2028, mais une chose après l’autre. «Je suis incapable de me projeter aussi loin, dit-il. Moi, je pense à l’entraînement qui arrive, au prochain match, voilà.»
Le joueur est devenu entraîneur quasiment du jour au lendemain, mais pas sans s’y préparer. Il a suivi les formations dispensées par la Fédération suisse de handball, doit encore passer un examen en mai. Une étape incontournable, même quand on a tout vécu sur le terrain. «Personne ne sait jamais tout, estime-t-il, et j’ai beaucoup appris dans ces cours d’entraîneurs, où l’on balaie des sujets très différents comme la médecine, la psychologie, la préparation physique, le coaching. On pioche aussi des connaissances dans d’autres disciplines. Vraiment, c’est super intéressant.»
Entre ses deux métiers, Andy Schmid a tout de suite pris acte d’une différence fondamentale. Le joueur ne joue que pendant l’entraînement, où il arrive détendu, avant de repartir en pensant à autre chose. L’entraîneur entraîne en permanence, l’esprit ne connaît pas de repos, «parce qu’il y a toujours quelque chose à approfondir». C’est «plus fatigant», reconnaît-il.
Les avantages d’un statut
En revanche, il ne s’inquiète pas de son changement de statut au sein d’une équipe dont il était membre et qu’il dirige aujourd’hui. «Ma valeur cardinale, c’est l’authenticité. Je ne vais pas traiter les autres différemment maintenant que je suis leur entraîneur, promet-il. Je veux pouvoir discu
ter d’égal à égal, entre adultes. Bien sûr, je vais être amené à prendre davantage de décisions. Mais je reste le même.»
Dans le groupe, personne n’en doute. Le seul Romand du groupe, Mehdi Ben Romdhane, s’en ouvre en peaufinant le tape qui lui renforcera la cheville droite pendant l’entraînement du jour. «Les compétences sociales constituent la première qualité d’un coach, estime le joueur de Kadetten Schaffhouse. Or, Andy nous incite à parler, à donner notre avis, on le sent très ouvert, c’est normal, on est en 2024, mais du coup, il sera un excellent entraîneur, aucun doute là-dessus.» Le grand bonhomme de 22 ans mesure sa chance. «C’est quelqu’un que j’ai admiré quand j’étais petit, puis avec qui j’ai eu l’occasion de jouer, de gagner des matchs, et maintenant, c’est mon entraîneur. Franchement, ça fait plaisir.»
Le gardien Nikola Portner a un autre statut. Parce qu’à 30 ans, il est désormais le doyen du (jeune) contingent. Parce qu’il en est le capitaine. Parce qu’il a gagné deux Ligues des champions avec deux clubs différents. Mais lui aussi accueille avec bienveillance la reconversion d’Andy Schmid. «Je l’ai assuré de mon soutien, commence-t-il. Il a plusieurs atouts: il connaît bien l’équipe et la vie du groupe, donc il n’a pas besoin de temps d’adaptation et peut directement s’atteler à apporter les changements qu’il souhaite. On l’a vu dès les premiers entraînements: on fait des exercices très détaillés, très pointus tactiquement, car il y a beaucoup d’informations qu’il entend transmettre.»
Reste une question, commune à tous les sports: le grand athlète fait-il forcément un grand coach? «Non, tranche Nikola Portner. Ce sont deux domaines différents, et avoir joué à un très haut niveau n’offre aucune garantie.» Mais quelques avantages quand même. «Quand les joueurs savent que tu étais fort sur le terrain, ils te prennent au sérieux plus facilement», estime le gardien. Mehdi Ben Romdhane pense pareil.
Quant au principal intéressé, il est conscient de l’enjeu. «Mon passé de joueur est un atout car quand je demanderai quelque chose à quelqu’un, il pourra toujours se dire que je suis passé par là et que je sais de quoi je parle», note-t-il. Puis, après une courte pause: «Mais je dois aussi faire attention et ne pas considérer que parce que j’étais capable de faire tel ou tel truc, tous mes joueurs en ont la possibilité aussi…»
On repense à Zidane au Real. Andy Schmid évalue la comparaison, ne la rejette pas. «Mais avec une touche de Jürgen Klopp, alors, pour le côté humain, sa capacité à être proche des joueurs tout en faisant autorité grâce à ses connaissances.» Sauf que Klopp, lui, n’a jamais été un grand joueur de football… Bref, tant pis: on n’arrivera pas à trouver l’équivalent parfait.
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