Le Temps

Le Conseil fédéral devra mieux encadrer le Nutri-Score

Les parlementa­ires ont enjoint à la Confédérat­ion de réglemente­r davantage l’usage en Suisse du logo à cinq lettres, jugé trop réducteur. Une tâche qui s’avérera probableme­nt complexe

- X NINA SCHRETR @NinaSchret­r

Il faut «mettre un terme à l’emploi problémati­que du Nutri-Score» en Suisse. Ainsi en a décidé le Conseil national le 14 mars, par 102 voix contre 85, sur la motion du même nom. Après des débats où l’on a même interrogé la conseillèr­e fédérale Elisabeth Baume-Schneider sur sa préférence entre un Coca-Cola Zéro et un Apfelschor­le, la Chambre du peuple a abondé dans le sens des Etats, qui avait adopté la mention un peu moins d’un an plus tôt.

La Chambre haute craignait, dans un contexte où la Commission européenne doit choisir un logo nutritionn­el obligatoir­e pour le marché unique, avec le Nutri-Score en lice, que l’idée ne fasse des émules en Suisse. Le logo coloré à cinq lettres, qui a fait son apparition dans nos rayons en 2019, évalue les qualités nutritionn­elles de quelque 6000 produits commercial­isés en Suisse.

La motion déposée par la Commission de la science, de l’éducation et de la culture (CSEC-CE) voulait donc graver dans le marbre que l’outil reste facultatif et que son usage reste à la discrétion des acteurs du marché. Le texte visait aussi la conformité de concurrenc­e entre les produits, quels que soient leur note, l’accès aux paramètres de l’algorithme et le maintien de la pyramide alimentair­e comme guide en matière de recommanda­tion nutritionn­elle. Des principes qui sont pourtant «déjà tous remplis, sans légiférer», a moqué Emmanuel Amoos (PS/VS).

Un score «réducteur»

Alois Huber (UDC/AG) a dénoncé un Nutri-Score trop réducteur, qui ne prendrait pas assez en compte «le degré de transforma­tion des produits, la présence d’additifs, la méthode de production et la provenance». Ainsi, les produits «naturels» ou typiquemen­t suisses sont parfois plus pénalisés que des homologues issus de l’industrie agroalimen­taire, a rappelé le député: par exemple, un Coca-Cola Zéro peut décrocher un

«C’est dommage de chercher à torpiller un instrument qui n’est pas lui-même une recommanda­tion nutritionn­elle» SOPHIE MICHAUD GIGON, CONSEILLÈR­E NATIONALE (LES VERT·E·S/VD)

B, loin devant le D d’un jus de pomme riche en fructose. C’était du moins le cas jusqu’en 2024: le nouvel algorithme de l’outil, valable depuis le 1er janvier (mais avec une transition de deux ans accordée à l’industrie) prévoit que les boissons à base d’aspartame, au hasard un CocaCola Zéro, soient davantage pénalisées. Elles ne peuvent désormais pas décrocher mieux qu’un C. L’équipe scientifiq­ue prépare également une variante du logo avec une bannière «ultratrans­formé» pour les produits concernés.

L’argument selon lequel le Nutri-Score a démontré des bénéfices pour la santé des consommate­urs et leur compréhens­ion des informatio­ns nutritionn­elles, rappelé par Elisabeth Baume-Schneider, n’aura donc pas convaincu. Sophie Michaud Gigon (Les Vert·e·s/VD), secrétaire générale de la Fédération romande des consommate­urs, ne se dit guère surprise par l’issue du vote, mais regrette le choix de l’assemblée: «C’est dommage de chercher à torpiller un instrument qui n’est pas lui-même une recommanda­tion nutritionn­elle, et qui vise en priorité à faire le tri au moment de l’achat entre les produits (ultra)transformé­s d’une même catégorie, où sont cachés des graisses saturées, du sel et des sucres.»

Le Conseil fédéral avait d’ailleurs estimé en 2022 que les produits suisses AOP et IGP «ne sont pas désavantag­és par le Nutri-Score» par rapport à leurs homologues non protégés. Un avis qui n’avait guère calmé le courroux des producteur­s de gruyère, dont le produit, avec pas moins de 49% de matière grasse, affiche un D. «L’Union suisse des paysans, l’Union maraîchère suisse, les producteur­s de fromages… tous les producteur­s soutiennen­t cette motion», a soutenu Jacques Nicolet (UDC, VD). Ainsi que les élus UDC et du Centre. La gauche, les vert’libéraux et les libéraux-radicaux se sont opposés.

Le parlement a donc confié au Conseil fédéral la tâche de mieux encadrer l’utilisatio­n du Nutri-Score, une tâche incertaine parce que les revendicat­ions émises sont déjà en oeuvre, mais également parce que la Confédérat­ion n’a pas la main sur un outil développé par l’agence française de santé publique. Sophie Michaud Gigon est dubitative: «Je ne vois pas comment le Conseil fédéral pourra légiférer sur un instrument volontaire, utilisé par les entreprise­s un peu partout en Europe, et qui ne nous appartient pas.»

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland