Le Temps

Regarder enfin ce qu’on n’avait pas vu

- Eléonore Sulser @eleonoresu­lser

Je l’avoue, la question «Aimez-vous Staël?» est de celles que je me pose à moi-même. Je n’en suis pas très sûre. Je ne parviens pas à me sentir vraiment proche de ses tableaux même si leurs couleurs me transporte­nt désormais, même si certaines toiles m’époustoufl­ent, depuis peu, par leur force soudaine.

J’ai cependant beaucoup aimé visiter l’exposition qui est consacrée à Nicolas de Staël, à la Fondation de l’Hermitage à Lausanne. Les soins minutieux et enthousias­tes que les deux commissair­es, Charlotte Barat et Pierre Wat, ont apportés à la présentati­on de son oeuvre m’ont permis de regarder, enfin et vraiment, son travail.

La finesse de leur regard et la façon dont ils partagent leurs trouvaille­s, dans le catalogue ou lors de la visite de l’exposition en compagnie de Pierre Wat, ont réveillé mon intérêt. Preuve que, lorsqu’il s’agit de regarder, de lire ou de contempler, il nous faut des passeuses et des passeurs, des gens qui savent, de personnes généreuses qui partagent leurs élans et créent des ponts vers ce que vous ne comprenez pas encore.

J’en ai fait l’expérience avec la peinture chinoise. Pendant longtemps, celle-ci m’a semblé ennuyeuse et fade, tristement répétitive. Et puis, un jour, Georges Goormaghti­gh qui est un excellent sinologue, un fin musicien et un remarquabl­e érudit, m’a fait lire ainsi qu’à d’autres étudiants, le traité d’un lettré sur la peinture chinoise; soudain, mes yeux se sont dessillés. J’ai vu la peinture chinoise, compris – un peu – comment elle fonctionna­it, quelles étaient ses règles et son intérêt, sa force, son efficacité et sa beauté.

Puis j’ai lu le livre que Pierre Ryckmans a consacré au peintre Shitao, Propos sur la peinture du moine Citrouille­Amère et encore L’Espace du rêve. Mille ans de peinture

chinoise par François Cheng, et d’autres livres encore. L’énergie des vides et des pleins s’est mise à bouillonne­r sur le papier, les monts et l’eau pourtant tracés à l’encre de Chine ont commencé à miroiter de toutes leurs roches et leurs surfaces, ces paysages vibrent désormais de toute leur présence. J’ai découvert les Joconde et les Ronde de nuit chinoises, je suis allée jusqu’à Taïwan pour voir les chefsd’oeuvre du Musée du Palais.

Voici pourquoi j’ai voulu poser cette question: «Aimezvous Staël?» Pour que des gens qui le connaissen­t, qui ont approché son oeuvre et qui s’en délectent m’expliquent ce qu’il a à dire et à montrer. Et peut-être, à force, finira-t-il par me séduire complèteme­nt.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland