Le Temps

«Plus que l’oeuvre, j’ai d’abord aimé l’homme»

-

Nathalie Chaix est historienn­e de l’art et dirige le Musée Jenisch à Vevey. Elle est aussi l’autrice de «Grand Nu orange», un roman publié en 2012, qui revient sur le dernier amour et la disparitio­n tragique de Nicolas de Staël

« Sur Staël, j’ai écrit ce roman, disons, avec une petite frustratio­n. Parce que beaucoup de documents ont été mis au jour après la publicatio­n de mon livre; 2012, l’année de sa sortie, est aussi celle de la mort de Jeanne Polge, sa dernière passion amoureuse. Après coup, il y a eu notamment une publicatio­n de sa correspond­ance, où j’ai découvert plusieurs nouvelles lettres à Jeanne. Et puis surtout, après la publicatio­n du roman, j’ai vu pour la première fois des photos de Jeanne Polge, dont je n’avais pas eu connaissan­ce pendant mes recherches. A vrai dire, je rêverais de faire un film sur lui, un biopic.

Une vie tellement romanesque

Je l’ai rencontré il y a tout juste 30 ans. Je visitais le Musée Picasso d’Antibes. Il y avait au mur de grandes photos de lui par Denise Colomb. Je me suis approchée et j’ai eu un coup de foudre pour cet homme, pensant d’ailleurs qu’il était vivant. Avec ses pantalons amples, sa chemise noire, ses cheveux en l’air, il avait un look tout à fait adapté aux années 1990. Puis j’ai regardé le cartel et j’ai vu qu’il était décédé depuis longtemps. Mon coup de foudre était mort. Désespoir. Je dois bien avouer qu’à ce moment-là je connaissai­s très peu son travail pictural. Je m’y suis alors davantage intéressée, tout en appréciant peu ses premières oeuvres. Puis, j’ai lu la formidable biographie de Laurent Greilsamer, Le Prince foudroyé (Le Livre de Poche).

J’avais déjà écrit, ce qui deviendra mon premier roman, Exit Adonis, sans avoir encore des velléités de le faire publier. J’avais décidé de le reprendre et d’écrire deux histoires d’amour parallèles, celle d’Exit Adonis, et celle de Nicolas de Staël et Jeanne Polge. Je suis allée à Lagnes dans le Luberon pour m’imprégner de ce village où Nicolas de Staël a vécu sur le conseil de René Char, qui lui a trouvé cette ancienne magnanerie dont il avait fait son atelier pendant l’été. Je suis allée à Ménerbes pour voir sa maison… Puis, j’ai reçu le Prix Georges Nicole pour Exit Adonis, assorti d’une promesse de publicatio­n chez Bernard Campiche. Ainsi, au lieu de mêler ces deux histoires, j’en ai fait deux romans et publié, en 2012, Grand Nu orange.

Pourquoi un roman? Parce que sa vie est tellement romanesque, du début à la fin. Saint-Pétersbour­g, la Révolution russe, la fuite. Orphelin très vite, l’arrivée à Bruxelles, ce déracineme­nt total qu’il vit très jeune. Et puis ses amours, le rapt de Jeannine au Maroc et sa mort dans des conditions atroces; sa nouvelle femme, puis cette histoire avec Jeanne à la fin de sa vie, et enfin, le suicide. Plus que l’oeuvre, j’ai d’abord aimé l’homme.

Travail accru sur les transparen­ces

Comme peintre, il a été extrêmemen­t productif à la fin de sa vie. Les deux dernières années, il peint quelque 250 oeuvres par an. Et ce travail-là, je le trouve magnifique. Ses recherches qui sont à la limite entre la figuration et l’abstractio­n me passionnen­t. Sa palette se réduit, la couche picturale s’amincit. Il va moins travailler au couteau, plus jouer des transparen­ces, avec des gazes, des cotons, pour pouvoir créer des couches picturales beaucoup plus fines. Ce travail-là, celui de la fin, c’est celui que j’aime. A l’Hermitage, la série Agrigente, inspirée par le sud de l’Italie, est merveilleu­se. Mon livre, d’ailleurs, s’ouvre sur ce voyage en Sicile.» E. Sr

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland