Le Temps

Justin Timberlake ou le délicat come-back du millénial

Star ultime des années 2000, le chanteur revient avec un nouvel album, après six ans d’absence. Alors que notre époque revisite avec sévérité celle qui l’avait couronné, pas facile de rester pertinent… Retour sur le parcours de ce prince de la pop

- Virginie Nussbaum @Virginie_nb

C’était il y a 24 ans, et rien que de l’écrire fiche un sacré coup de vieux. A l’orée du millénaire, ils étaient cinq à infiltrer, à coups d’harmonies suaves et de chorégraph­ies musclées, la pop culture comme le temps d’antenne sur MTV: les ‘N Sync. Fondé en 1995, dans la lignée directe des Backstreet Boys et de Take That, le groupe deviendra l’un des boys bands les plus rentables de l’histoire. Et Bye Bye Bye, l’hymne d’une génération, celle de Loft Story et des Nokia 3310. Cruauté de la machine à stars, qui mâche et remplace: de ces jeunes Américains en baggys, on ne se souvient vraiment que d’un, celui à la belle gueule et aux boucles décolorées – Justin Timberlake. Favori des fans, encore davantage parce qu’il se pavane alors au bras d’une autre comète, Britney Spears.

C’était il y a 24 ans. Justin Timberlake en a aujourd’hui 43. Une barbe poivre et sel, deux enfants, une carrière solo plus qu’honorable… et des envies de come-back. Certes, le chanteur n’a disparu des radars que par intermitte­nce. Mais Everything I Know It Was, l’album qu’il dévoile ce vendredi, est son premier depuis six ans. Et débarque dans un monde entièremen­t différent de celui qui l’avait couronné prince de la pop.

Examen de conscience

Car notre ère dissèque aujourd’hui le passé au scalpel. A commencer par le traitement de Britney Spears par les tabloïds, sortie bien plus salie que Justin Timberlake de leur rupture en 2002. Dans un documentai­re puis ses mémoires sorties l’an dernier, l’ex-starlette revenait sur cette relation, notamment la manière dont Justin Timberlake l’accusera publiqueme­nt d’infidélité jusqu’à le suggérer dans son clip Cry Me A River – lui gagnera un tube, elle, une réputation entachée. Même histoire en 2004, au halftime show du Superbowl. Alors qu’il se produit au côté de Janet Jackson, il tire trop fort sur son bustier, exposant, au lieu de ses dessous rouges, son sein devant 85 millions de téléspecta­teurs. Dans cette Amérique qui se veut rock’n’roll mais puritaine, le «Nipplegate» fera scandale et Janet Jackson souffrira d’une baisse de popularité considérab­le.

Rétroactiv­ement outrée par ces injustices, l’époque ne lui a plus laissé le choix: en 2021, Justin Timberlake s’excusait dans un long post Instagram, citant Britney et Janet: «Je comprends que je n’ai pas été à la hauteur dans ces moments-là et dans bien d’autres, et que j’ai bénéficié d’un système qui tolère la misogynie et le racisme.» Confession d’un ex-enfant chéri qui a senti le vent tourner? De quoi en faire douter certains: à l’heure où les pop stars, de Harry Styles à Bad Bunny, revisitent la masculinit­é, Justin Timberlake a-t-il encore sa place dans le paysage?

La caution Jackson

Une question qui aurait longtemps paru incongrue, tant ce natif du Tennessee a dominé l’industrie. A sa ceinture, neuf Grammy Awards, 88 millions d’albums vendus et certains titres gravés dans l’imaginaire collectif – Rock your body, Sexyback, What Goes Around… Comes Around.

Une ascension qui commence tôt. Fils d’un directeur de chorale d’église, Justin Randall Timberlake grandit entouré de musiciens qui l’introduise­nt au gospel ou à la country. A 11 ans, il participe à une émission de découverte de talents. Son look de cow-boy et son déhanché de lover ravissent. Mais c’est au Mickey Mouse Club, émission télé du groupe Disney, que tout s’accélère. Devant les caméras, Justin aiguise son charisme et rencontre d’autres enfants stars, dont Christina Aguilera, Ryan Gosling et… Britney Spears. C’est là aussi qu’il fait la connaissan­ce de JC Chasez, son futur acolyte des ‘N’Sync.

Au mitan des années 1990, Lou Pearlman, imprésario des Backstreet Boys (et, on le découvrira plus tard, escroc à la tête d’une pyramide de Ponzi), cherche à former un nouveau boys band. On lui recommande alors le jeune Justin, qui embarque à son tour son ami JC. C’est le début d’une aventure de sept ans pour les cinq jeunes fringants qui, avec leur R’n’B à la sauce pop commercial­e, capturent le Zeitgeist et le coeur des filles. Mais Justin veut plus que cette grosse machine, bien huilée mais menacée d’obsolescen­ce. Lorsque Michael Jackson adoube un morceau qu’il a écrit pour lui, le chanteur fait le grand saut.

Du doux romantique au sex-symbol

Son premier album solo, Justified, sort en 2002 et confirme ce que tout le monde sait déjà: Justin Timberlake a l’étoffe d’une star. Falsetto élastique et sens du groove implacable, il se détache de son image de doux romantique en s’acoquinant avec les rappeurs – Pharrell Williams, will.i.am, Timbaland. Il travaille son statut de sex-symbol dans un R’n’b lascif tout en expériment­ant musicaleme­nt, du funk à la techno. Les ventes ne mentent pas: son deuxième album coiffe même Beyoncé au poteau.

Son aura, Justin Timberlake la teste ensuite à Hollywood, enchaînant durant plusieurs années les petits thrillers comme les comédies populaires. Un seul rôle majeur dans sa filmograph­ie: celui du détestable fondateur de Napster dans The Social Network (2010), biopic sur Mark Zuckerberg par David Fincher.

Le retour à la musique sera capricieux. Pour son dernier album en 2018, le chanteur délaisse sa patte urbaine pour un son flirtant avec la soul et l’americana, que démolit la critique. Même si son retour au Superbowl cette même année rappellera au monde que le show man en a encore sous le capot…

Pas étonnant donc qu’avec Everything I Know It Was, le quadra veuille renouer avec «ce pour quoi les gens [le] connaissen­t». Un R’n’B teinté de pop et de funk infusant les 18 morceaux, certains visant le dancefloor, la plupart brassant des mots d’amour pour sa femme, l’actrice Jessica Biel. Efficace, l’album est fait pour valoriser son agilité vocale et son charme – et reproduire une formule magique, avec des échos constants à sa discograph­ie. D’ailleurs, comme des fantômes du passé, les membres de ‘N’Sync, temporaire­ment reformé, s’invitent sur un titre.

Pas sûr qu’il s’agisse là de son «meilleur travail», comme l’affirmait Justin Timberlake dans une interview. Une certitude tout de même: la nostalgie paie. Si sur TikTok, les internaute­s se moquent à coeur joie de son nouveau look de papa, les fans trépignaie­nt de revivre leur jeunesse. Sa tournée mondiale, qui passera par Lyon en septembre, a multiplié les sold-out.

«Everything I Know It Was» (RCA Records).

 ?? (Steve Granitz/FilmMagic) ?? Désormais quadragéna­ire, l’ancien «lover» des ’N Sync tente de renouer avec ses fans et se lance dans une tournée internatio­nale.
(Steve Granitz/FilmMagic) Désormais quadragéna­ire, l’ancien «lover» des ’N Sync tente de renouer avec ses fans et se lance dans une tournée internatio­nale.

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