Le Temps

L’enfance revisitée de Marie Sizun

L’écrivaine construit une oeuvre romanesque forte à partir d’un huis clos familial vécu dans le XXe arrondisse­ment de Paris

- Jean-Bernard Vuillème

Le quinzième livre de Marie Sizun, dont la carrière littéraire a commencé à l’âge de 65 ans, porte en titre une adresse du XXe arrondisse­ment de Paris, 10, villa Gagliardin­i. C’est un «immeuble de briques rouges» que ses lecteurs ont déjà découvert dans d’autres titres, en particulie­r dans Eclats d’enfance (2009). Ce récit dressait une sorte de cartograph­ie socio-sentimenta­le d’un petit morceau du XXe arrondisse­ment dans lequel l’écrivaine a passé son enfance. Plusieurs rues, le quartier, quelques lieux emblématiq­ues comme le cinéma des Tourelles ou le marché aux puces des Lilas y étaient évoqués, mais pas l’appartemen­t d’autrefois, «parce que, tout simplement, revoir cet endroit d’amour, de solitude et d’effroi, je ne l’aurais pas supporté, j’en étais incapable, même en rêve».

Il a fallu une quinzaine d’années, mais elle a fini par y revenir et c’est l’objet de ce récit dans lequel l’écrivaine dit «je», ce qu’elle évitait dans Eclats d’enfance. Cet appartemen­t, une cuisine, une entrée, des toilettes et un studio de «vingt mètres carrés tout au plus» est le théâtre d’un huis clos avec sa mère jusqu’à l’âge de 4 ans et demi, puis à trois avec son père de retour de la guerre, à quatre lorsqu’un petit frère vient agrandir la famille. Après le départ du père, et le divorce, une troisième enfant, petite soeur de père inconnu, viendra encore peupler le minuscule appartemen­t dans lequel la cuisine fait aussi office de salle de bains.

Une vie rêvée

Ce récit familial, sujet de multiples variations narratives dans l’oeuvre romanesque de Marie Sizun, n’est pas étranger non plus à ses lecteurs. Une brique de plus, dirait-on, dans l’obsessionn­el retour littéraire en enfance de Marie Sizun, la première peut-être, autrement dit la plus proche de la réalité objective dans la mesure où celle-ci serait séparable de la vie ressentie, rêvée et imaginée.

Dans le premier roman de Marie Sizun, paru en 2005, Le Père de la petite, une fillette vit seule avec une mère fragile et fantasque. Son existence se trouve bouleversé­e lorsque son père, prisonnier de guerre en Allemagne, réapparaît. Dans son deuxième roman, La Femme de l’Allemand (2007), on retrouve la même configurat­ion, mais cette fois le père ne revient pas et demeure par conséquent nimbé de mystère pour la fillette et l’adolescent­e.

Surtout, il ne s’agit plus d’un prisonnier de retour, mais d’un envahisseu­r allemand.

Plus que tout autre, Marie Sizun illustre le postulat selon lequel un écrivain ne cesse d’écrire le même livre. Le huis clos familial vécu en studio par Marie Sizun jusqu’à l’âge de 17 ans, selon le récit de 10, villa Gagliardin­i, se situe au coeur de son inspiratio­n. Il est aussi le creuset d’une histoire familiale traquée, modelée et remodelée dans une suite de romans emmenant les lecteurs en Suède, en Allemagne, en Russie et en plusieurs régions de France. A tâtons dans l’obscurité des destins, Marie Sizun construit une oeuvre humaniste forte dans laquelle, chose rare, des enfants apparaisse­nt souvent comme des personnage­s à part entière.

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Autrice Marie Sizun
Titre 10, villa Gagliardin­i
Editions Arléa
Pages 236
Genre Récit Autrice Marie Sizun Titre 10, villa Gagliardin­i Editions Arléa Pages 236

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