Le Temps

Une vie dans une valise

- Lisbeth Koutchoumo­ff Arman

En fin portraitis­te, Philippe Dubath fait remonter des figures de son enfance et de ses années de journalist­e à Paris, à partir de cartes postales ou de photos

Les mots jouent parfois le rôle de fusées éclairante­s lancées dans la nuit de la mémoire. Philippe Dubath, auteur notamment de Martha et autres histoires vraies et de Zidane et moi, remonte le temps dans Les Coquelicot­s après la pluie. Celui qui a été longtemps journalist­e à 24 heures, photograph­e, puise dans ses propres souvenirs mais, en écrivain, choisit le truchement d’un narrateur, Victor, pour les restituer. Une mise à distance qui, par-delà les récits évoqués, met en lumière ce que permet l’écriture: compresser le temps, regarder le passé avec les yeux du présent, reprendre la main de personnes disparues.

Le vent de neige

Après un AVC «modeste», Victor fait du tri dans sa cave et sélectionn­e dans une petite valise les traces (photos, cartes postales, lettres) qui le touchent le plus. Il se limite aux années 1952-1987, soit sa naissance en Lorraine et la mort précoce du père. Pour cette archéologi­e d’un quotidien enfoui, Philippe Dubath excelle dans l’art du portrait, cette façon de donner vie aux êtres jusque dans leur vibration, leur lumière.

Ainsi de Georgette, la concierge de l’école de journalism­e près de Paris, «une Bretonne au visage de criques et de falaises», de Gilles, l’élève dorloté, «un Lyonnais bien coiffé, épaules larges, physique d’inspecteur de police. Victor était fier de s’en être fait un ami, il enviait son dynamisme, son absence de pudeur, son culot, tout à l’opposé de sa propre timidité, lourde, aussi inconforta­ble qu’un habit trempé par l’orage.»

On veut évoquer aussi Jeanine, la marraine, «bourgeoise poudrée, coquette et attentionn­ée» qui commençait à se faner mais dont «les yeux de pierre précieuse rappelaien­t qu’elle avait été aussi belle et élégante que les stars américaine­s des années 1930.» C’est aussi ce que va découvrir Jeanine à l’enterremen­t de son mari qui imprime ce personnage dans la mémoire du lecteur.

Au coeur du livre, la figure du père disparu alors que Victor a 35 ans. C’est une photograph­ie, prise à la chasse, qui amorce l’hommage: «On le voit marcher dans des herbes givrées avec un fusil sur l’épaule. On devine qu’il fait gris, froid, brouillard. […] Victor doit à cet homme qui brave le vent de neige une connaissan­ce qui lui a permis de vivre en sachant qu’il pouvait toujours s’échapper dans ce que l’on appelle la nature.» Ces êtres évaporés, tremblant dans le souvenir comme des «coquelicot­s après la pluie», témoignent modestemen­t du frêle éclat de toute existence.

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Auteur Philippe Dubath
Titre Les Coquelicot­s après la pluie
Editions L’Aire, coll. Le Banquet
Pages 112
Genre Récit Auteur Philippe Dubath Titre Les Coquelicot­s après la pluie Editions L’Aire, coll. Le Banquet Pages 112

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