Sortante et favorite fragile
Alors que la présidente de la Confédération suisse Viola Amherd se rend à Bruxelles pour ouvrir officiellement les nouvelles discussions bilatérales Suisse-Union européenne (UE), l’avenir de son interlocutrice n’est pas garanti. Et si Ursula von der Leyen ne faisait pas de second mandat?
Bien sûr, la présidente de la Commission européenne semble être sur une voie royale pour être reconduite après les élections européennes de juin. L’UE a plutôt bien géré la crise du Covid-19. Avec la guerre en Ukraine, elle a pris le tournant géopolitique que von der Leyen avait annoncé en début de mandat. A cela s’ajoutent un ambitieux pacte vert, une politique industrielle plus volontariste et une politique commerciale (un peu) moins naïve.
Bien sûr, Ursula von der Leyen est la candidate du Parti populaire européen (PPE), qui devrait rester la première force politique au Parlement européen et qui compte 11 membres sur 27 au Conseil européen (chefs d’Etat et de gouvernements). Et l’on imagine mal le chancelier allemand Olaf Scholz, même s’il est socialdémocrate, s’opposer à la reconduction de sa compatriote au poste le plus puissant de l’UE. En ces temps troublés, les dirigeants européens pourraient également vouloir privilégier la stabilité institutionnelle.
Il existe cependant un scénario alternatif, dans lequel von der Leyen ferait les frais de la vague d’euroscepticisme qui s’annonce. Pour le comprendre il faut se pencher sur la procédure de nomination du président de la Commission. Le traité sur l’Union européenne dispose que le Conseil européen propose un candidat au Parlement «en tenant compte des élections au Parlement européen, et après avoir procédé aux consultations appropriées». Il s’agit donc d’une sorte d’élection à deux tours, mais dans laquelle le second conditionne le premier. Le Conseil européen, malgré la tentative connue sous le nom de «Spitzenkandidat» d’imposer la nomination automatique de la tête de liste du parti qui arrive en tête aux élections, garde la maîtrise du choix du candidat. Mais il ne prendra pas le risque d’en présenter un qui risquerait de ne pas être élu par les députés. C’est d’ailleurs cette réalité politique que souligne le traité.
Or si l’on observe les dynamiques politiques, Ursula von der Leyen pourrait bien se trouver en manque de majorité. En 2019, elle a été élue avec neuf voix de majorité, avec principalement celles – mais pas toutes – du PPE, des sociaux-démocrates du S&D et des libéraux et centristes de Renew. Cette année, les trois groupes vont perdre des sièges, et les conservateurs de l’ECR et l’extrême droite pourrait devancer Renew. Von der Leyen risque fort d’avoir besoin de toutes les voix du PPE, du S&D et de Renew pour être réélue, ou de bénéficier de celles d’ECR. C’est-à-dire qu’elle devra se positionner franchement au centre (droite et gauche) ou franchement à droite.
En réorientant sa politique climatique et environnementale, ce qu’elle a commencé à faire en retirant certains projets contestés par la droite, elle prend le risque de s’aliéner
Par sa froideur et des initiatives non concertées, elle ne s’est pas attiré que des sympathies
les sociaux-démocrates. En jouant la continuité, même ajustée, elle prend le risque de perdre les votes potentiels des conservateurs. Ce jeu à somme nulle vaut pour d’autres sujets comme la migration, la politique économique et sociale ou l’Etat de droit. Au sein même du PPE, elle n’est pas incontestée. Seule en lice, elle n’a été désignée candidate qu’avec 66% des voix lors du congrès du parti. Les Républicains en France la qualifient de «candidate d’Emmanuel Macron», et en coulisses, certaines figures du PPE cachent à peine leurs ambitions.
Ursula von der Leyen avance donc sur une étroite ligne de crête, et sa capacité incertaine à être élue pourrait conduire les chefs d’Etat et de gouvernement à chercher un autre candidat. Ces derniers devront probablement trouver une réponse politique au niveau élevé de vote protestataire. Comme un premier ministre français sert de fusible à un président qui veut se relancer, von der Leyen, qui a tout fait pendant cinq ans pour incarner l’UE et revendiquer son action, serait la variable d’ajustement à la nouvelle donne politique.
Les sociaux-démocrates pourraient refuser de la soutenir, surtout si elle courtise la droite de manière appuyée, de même que Victor Orban et son nouvel allié slovaque Robert Fico. Les dirigeants PPE, ainsi que l’Allemand Olaf Scholz et le Français Emmanuel Macron seraient obligés de la lâcher. Certains le feront d’autant plus volontiers que cette dernière, par sa froideur, sa communication personnelle et des initiatives non concertées, ne s’est pas attiré que des sympathies.
Ce scenario n’est pour l’instant pas ouvertement envisagé à Bruxelles. La campagne n’a pas encore commencé, et la chute de la favorite rebattrait les cartes de la répartition des postes – présidences de la Commission, du Conseil européen et du Parlement, ainsi que haut représentant pour les Affaires étrangères. Mais pour paraphraser Harold Wilson, trois mois, c’est long en politique. Et le soir du 9 juin, c’est un autre moment qui s’ouvrira, plus périlleux pour Ursula von der Leyen. ■