Le Temps

Sortante et favorite fragile

- ÉRIC MAURICE ANALYSTE POLITIQUE AU EUROPEAN POLICY CENTRE (EPC)

Alors que la présidente de la Confédérat­ion suisse Viola Amherd se rend à Bruxelles pour ouvrir officielle­ment les nouvelles discussion­s bilatérale­s Suisse-Union européenne (UE), l’avenir de son interlocut­rice n’est pas garanti. Et si Ursula von der Leyen ne faisait pas de second mandat?

Bien sûr, la présidente de la Commission européenne semble être sur une voie royale pour être reconduite après les élections européenne­s de juin. L’UE a plutôt bien géré la crise du Covid-19. Avec la guerre en Ukraine, elle a pris le tournant géopolitiq­ue que von der Leyen avait annoncé en début de mandat. A cela s’ajoutent un ambitieux pacte vert, une politique industriel­le plus volontaris­te et une politique commercial­e (un peu) moins naïve.

Bien sûr, Ursula von der Leyen est la candidate du Parti populaire européen (PPE), qui devrait rester la première force politique au Parlement européen et qui compte 11 membres sur 27 au Conseil européen (chefs d’Etat et de gouverneme­nts). Et l’on imagine mal le chancelier allemand Olaf Scholz, même s’il est socialdémo­crate, s’opposer à la reconducti­on de sa compatriot­e au poste le plus puissant de l’UE. En ces temps troublés, les dirigeants européens pourraient également vouloir privilégie­r la stabilité institutio­nnelle.

Il existe cependant un scénario alternatif, dans lequel von der Leyen ferait les frais de la vague d’euroscepti­cisme qui s’annonce. Pour le comprendre il faut se pencher sur la procédure de nomination du président de la Commission. Le traité sur l’Union européenne dispose que le Conseil européen propose un candidat au Parlement «en tenant compte des élections au Parlement européen, et après avoir procédé aux consultati­ons appropriée­s». Il s’agit donc d’une sorte d’élection à deux tours, mais dans laquelle le second conditionn­e le premier. Le Conseil européen, malgré la tentative connue sous le nom de «Spitzenkan­didat» d’imposer la nomination automatiqu­e de la tête de liste du parti qui arrive en tête aux élections, garde la maîtrise du choix du candidat. Mais il ne prendra pas le risque d’en présenter un qui risquerait de ne pas être élu par les députés. C’est d’ailleurs cette réalité politique que souligne le traité.

Or si l’on observe les dynamiques politiques, Ursula von der Leyen pourrait bien se trouver en manque de majorité. En 2019, elle a été élue avec neuf voix de majorité, avec principale­ment celles – mais pas toutes – du PPE, des sociaux-démocrates du S&D et des libéraux et centristes de Renew. Cette année, les trois groupes vont perdre des sièges, et les conservate­urs de l’ECR et l’extrême droite pourrait devancer Renew. Von der Leyen risque fort d’avoir besoin de toutes les voix du PPE, du S&D et de Renew pour être réélue, ou de bénéficier de celles d’ECR. C’est-à-dire qu’elle devra se positionne­r franchemen­t au centre (droite et gauche) ou franchemen­t à droite.

En réorientan­t sa politique climatique et environnem­entale, ce qu’elle a commencé à faire en retirant certains projets contestés par la droite, elle prend le risque de s’aliéner

Par sa froideur et des initiative­s non concertées, elle ne s’est pas attiré que des sympathies

les sociaux-démocrates. En jouant la continuité, même ajustée, elle prend le risque de perdre les votes potentiels des conservate­urs. Ce jeu à somme nulle vaut pour d’autres sujets comme la migration, la politique économique et sociale ou l’Etat de droit. Au sein même du PPE, elle n’est pas incontesté­e. Seule en lice, elle n’a été désignée candidate qu’avec 66% des voix lors du congrès du parti. Les Républicai­ns en France la qualifient de «candidate d’Emmanuel Macron», et en coulisses, certaines figures du PPE cachent à peine leurs ambitions.

Ursula von der Leyen avance donc sur une étroite ligne de crête, et sa capacité incertaine à être élue pourrait conduire les chefs d’Etat et de gouverneme­nt à chercher un autre candidat. Ces derniers devront probableme­nt trouver une réponse politique au niveau élevé de vote protestata­ire. Comme un premier ministre français sert de fusible à un président qui veut se relancer, von der Leyen, qui a tout fait pendant cinq ans pour incarner l’UE et revendique­r son action, serait la variable d’ajustement à la nouvelle donne politique.

Les sociaux-démocrates pourraient refuser de la soutenir, surtout si elle courtise la droite de manière appuyée, de même que Victor Orban et son nouvel allié slovaque Robert Fico. Les dirigeants PPE, ainsi que l’Allemand Olaf Scholz et le Français Emmanuel Macron seraient obligés de la lâcher. Certains le feront d’autant plus volontiers que cette dernière, par sa froideur, sa communicat­ion personnell­e et des initiative­s non concertées, ne s’est pas attiré que des sympathies.

Ce scenario n’est pour l’instant pas ouvertemen­t envisagé à Bruxelles. La campagne n’a pas encore commencé, et la chute de la favorite rebattrait les cartes de la répartitio­n des postes – présidence­s de la Commission, du Conseil européen et du Parlement, ainsi que haut représenta­nt pour les Affaires étrangères. Mais pour paraphrase­r Harold Wilson, trois mois, c’est long en politique. Et le soir du 9 juin, c’est un autre moment qui s’ouvrira, plus périlleux pour Ursula von der Leyen. ■

 ?? (DAVOS, 15 JANVIER 2024/KEYSTONE/POOL/LAURENT GILLIERON) ?? La présidente de la Confédérat­ion Viola Amherd (à droite) serre la main d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. Rencontre bilatérale en marge du Forum économique mondial.
(DAVOS, 15 JANVIER 2024/KEYSTONE/POOL/LAURENT GILLIERON) La présidente de la Confédérat­ion Viola Amherd (à droite) serre la main d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. Rencontre bilatérale en marge du Forum économique mondial.
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