Délit d’initié avec soi-même
Tout le monde connaît le bon vieux délit d’initié à l’ancienne. Un investisseur reçoit un tuyau d’un copain bien placé et investit en fonction, dans le but d’en tirer un avantage. Mais que se passe-t-il lorsque la personne qui reçoit l’information confidentielle est aussi celle qui l’a obtenue dans un premier temps? C’est la question à laquelle a récemment répondu le Tribunal pénal fédéral, dans le dossier d’un ancien gestionnaire de la Caisse de pension de Saint-Gall.
Ce professionnel de la finance a effectué des transactions à titre privé en fonction de celles qu’il passait à titre professionnel, entre 2013 et 2018. Ce qui s’appelle du front running, en jargon financier. Mais était-ce aussi du délit d’initié?
Le front running consiste à investir en anticipant un mouvement de cours provoqué par d’autres opérations à venir. Cela équivaudrait à acheter des actions d’une entreprise en sachant qu’un important investisseur s’apprête à en acquérir lui-même, et beaucoup. Son investissement pousserait le cours à la hausse. Ce dont profiterait un malin ou un complice qui aurait investi auparavant.
Le cas de front running qui a occupé la Cour suprême était atypique, car l’investisseur n’a pas été informé de futures transactions par un tiers, comme c’est le cas habituellement, mais par lui-même. Les informations étaient ainsi «internes à lui», résume Yannick Caballero Cuevas, du Centre de droit bancaire de l’Université de Genève, qui a analysé ce dossier.
Et qui pose une redoutable question: les intentions du gérant constituaient-elles des informations confidentielles? Comme le gérant agissait en tant que représentant des fonds de pension, il effectuait des transactions pour un tiers et donc ses propres décisions d’investissement (qu’il s’est transmises à lui-même) étaient bien des données confidentielles, selon le TPF.
Dans cette affaire, l’ex-gérant avait effectué 44 transactions litigieuses. Cinq d’entre elles ont provoqué une perte et dix autres ont eu un impact nul ou négatif sur le bénéfice réalisé, qui s’élève à quelque 175 000 francs. Le prévenu est finalement reconnu coupable de délit d’initié. Un recours ayant été déposé devant la Cour d’appel du Tribunal pénal fédéral, cette affaire n’est pas terminée. ■