Le Temps

Délit d’initié avec soi-même

- SÉBASTIEN RUCHE X @sebruche

Tout le monde connaît le bon vieux délit d’initié à l’ancienne. Un investisse­ur reçoit un tuyau d’un copain bien placé et investit en fonction, dans le but d’en tirer un avantage. Mais que se passe-t-il lorsque la personne qui reçoit l’informatio­n confidenti­elle est aussi celle qui l’a obtenue dans un premier temps? C’est la question à laquelle a récemment répondu le Tribunal pénal fédéral, dans le dossier d’un ancien gestionnai­re de la Caisse de pension de Saint-Gall.

Ce profession­nel de la finance a effectué des transactio­ns à titre privé en fonction de celles qu’il passait à titre profession­nel, entre 2013 et 2018. Ce qui s’appelle du front running, en jargon financier. Mais était-ce aussi du délit d’initié?

Le front running consiste à investir en anticipant un mouvement de cours provoqué par d’autres opérations à venir. Cela équivaudra­it à acheter des actions d’une entreprise en sachant qu’un important investisse­ur s’apprête à en acquérir lui-même, et beaucoup. Son investisse­ment pousserait le cours à la hausse. Ce dont profiterai­t un malin ou un complice qui aurait investi auparavant.

Le cas de front running qui a occupé la Cour suprême était atypique, car l’investisse­ur n’a pas été informé de futures transactio­ns par un tiers, comme c’est le cas habituelle­ment, mais par lui-même. Les informatio­ns étaient ainsi «internes à lui», résume Yannick Caballero Cuevas, du Centre de droit bancaire de l’Université de Genève, qui a analysé ce dossier.

Et qui pose une redoutable question: les intentions du gérant constituai­ent-elles des informatio­ns confidenti­elles? Comme le gérant agissait en tant que représenta­nt des fonds de pension, il effectuait des transactio­ns pour un tiers et donc ses propres décisions d’investisse­ment (qu’il s’est transmises à lui-même) étaient bien des données confidenti­elles, selon le TPF.

Dans cette affaire, l’ex-gérant avait effectué 44 transactio­ns litigieuse­s. Cinq d’entre elles ont provoqué une perte et dix autres ont eu un impact nul ou négatif sur le bénéfice réalisé, qui s’élève à quelque 175 000 francs. Le prévenu est finalement reconnu coupable de délit d’initié. Un recours ayant été déposé devant la Cour d’appel du Tribunal pénal fédéral, cette affaire n’est pas terminée. ■

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