Le Temps

Extrêmemen­t consensuel ou consensus sans extrême

- ÉCONOMISTE EN CHEF, BCGE

Alors que les marchés financiers, en particulie­r, les bourses internatio­nales, semblent s’emballer comme après une récession ou pour alimenter une bulle des valeurs, les regards des analystes et des investisse­urs se concentren­t vers la société Nvidia pour justifier leur perception. La valeur boursière de cette société a en effet progressé de près de 85% depuis le début de l’année et a été multipliée par six depuis début 2023. Est-ce à dire que toutes les valeurs technologi­ques américaine­s sont sous le même vent de frénésie?

Rappelons-nous un instant que les valeurs les plus affectées par les correction­s de 2022 se retrouvaie­nt également parmi les «7 magnifique­s» d’aujourd’hui. Outre Microsoft et Apple qui dépassent de respective­ment 20% et 30% les plus hauts de 2021, les Tesla, Meta, Amazon ont simplement récupéré leur niveau d’alors, et ce sans avoir réellement connu de crise de revenus et/ou de profitabil­ité.

Cet exercice de comparaiso­n pourrait également s’appliquer à l’ensemble des bourses. Certaines restent sous leurs niveaux de 2021, comme la bourse suisse, alors que d’autres ont regagné plus de 10%. L’année 2024 s’annonce donc globalemen­t comme une année de normalisat­ion après quatre exercices annuels de crises successive­s, par nature imprévisib­les, et dominées principale­ment par le sentiment, l’urgence et l’incompréhe­nsion.

La normalisat­ion économique, monétaire et financière s’apparente donc à une modération, éliminant progressiv­ement toutes les hypothèses de rupture extrême échafaudée­s pour 2023 et 2024. Alors que peut-on attendre de 2025? Personne ne se risque à un exercice ambitieux, on joue les prolongati­ons sans conviction. Alors extrêmemen­t consensuel ou un consensus sans extrême?

Face à l’harmonisat­ion de la moyenne, de la médiane et des extrêmes, le consensus semble très ennuyeux et peu curieux. Il ne s’alimente que trop peu des nombreuses analyses et recherches développée­s par les organisati­ons supranatio­nales qui décomposen­t l’impact des innovation­s récentes, technologi­ques, dont l’intelligen­ce artificiel­le (IA).

Si les effets sont encore incertains, la vague d’investisse­ments des entreprise­s et des gouverneme­nts qui s’est accélérée sans interrupti­on depuis la crise du covid, notamment dans la propriété intellectu­elle (recherche fondamenta­le, appliquée et logiciels), doit pouvoir tôt ou tard déployer ses effets sur la productivi­té des facteurs. Qui dit productivi­té accélérée dit profitabil­ité rehaussée des entreprise­s profitant de bases conjonctur­elles normalisée­s et structurel­les assurées.

Après les crises, les surprises

Osons donc nous appuyer sur la technologi­e et sur notre aptitude à nous y adapter et à optimiser son utilisatio­n au bénéfice de la création de valeur ajoutée et de revenu à redistribu­er. Les services offrent un potentiel d’assimilati­on important. L’avènement d’internet dans les années 1990 et les investisse­ments consentis à cette époque peuvent aider à faire une approximat­ion des gains de productivi­té à anticiper.

Pour s’y préparer, suivons l’entreprise, sa capacité d’innover, d’intégrer et de déployer ses investisse­ments au bénéfice de ses revenus. Tous ne sont pas égaux certes, mais la diffusion peut être large et inattendue. Le secteur de la santé, pharma en tête, multiplie déjà les exemples d’applicatio­n de l’lA et place la Suisse sur l’échiquier avant-gardiste.

Au-delà des craintes qu’elles génèrent, ces technologi­es offrent une réponse aux grandes transition­s et à l’inflation résiliente. Ne laissons pas à Nvidia le potentiel des extrêmes, et osons prévoir qu’une croissance régionale supplément­aire entre 0,5 et 1% n’est pas excessive. Le risque de surprises peut surgir des prévisions extrêmemen­t consensuel­les. Après les crises… place aux surprises!

Evitons donc de presser les banques centrales à relâcher leurs conditions de financemen­t, somme toute pas si contraigna­ntes pour les entreprise­s, ni source de rupture pour les particulie­rs. ■

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VALÉRIE LEMAIGRE

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