Le Temps

A Fribourg, les Marseillai­s d’IAM lustrent leur légende

Les scandeurs du mythique collectif ont retrouvé samedi soir Fri-Son, trente ans après leur première venue. Une soirée mémorable

- JULIETTE DE BANES GARDONNE X @JuliettedB­g

On se souvient d’un concert à l’aube de l’an 2000, dans le Dôme de Marseille en effervesce­nce. IAM régnait alors en «sensei» du micro, bien au-delà de la cité phocéenne, et ces bourdieusi­ens du rap éveillaien­t les conscience­s en poussant leur prose jusqu’à l’anadiplose. Leur chef-d’oeuvre? L’Ecole du micro d’argent, sorti il y a exactement 27 ans (le 18 mars 1997), qui s’imposera comme une référence majeure, bouleversa­nt à jamais l’histoire du rap français.

Ce disque créé entre Marseille, New York et Paris, auréolé d’une Victoire de la musique et vendu à 1,6 million d’exemplaire­s, collera à la peau des Marseillai­s comme le

Boléro à Ravel. Ainsi, même après trente-cinq années de carrière au compteur et beaucoup d’encre coulée sur les sillons (11 disques dont

Ombre et Lumière,Revoir un printemps,Saison 5, Yasuke et HHHistory l’an dernier), IAM reste indéniable­ment le groupe des tubes

Petit frère, Né sous la même étoile ou L’Empire du côté obscur.

Pyramides des âges

Dans le cube noir du Fri-Son de Fribourg, samedi soir, trente ans après son premier passage, deux jours après un concert à Genève et à veille d’une troisième date à Delémont dimanche soir, les nostalgiqu­es de la génération Y se retrouvaie­nt serrés comme des sardines pour assister au concert d’un groupe mythique, annoncé complet depuis l’été dernier. Intitulée HHHistory, la tournée ne camoufle pas ses intentions: IAM y rejoue avec panache son histoire et celle du hip-hop. Show millimétré, couplets tronqués pour préserver la nervosité du live, le tout emballé par une scénograph­ie efficace en référence à leur dernier disque: deux immenses écrans assortis d’un double H, et dans l’échancrure de chaque lettre, les DJ historique­s du collectif qui officient aux platines.

Pattes d’oie et ride du lion en signes inexorable du temps qui passe, les Marseillai­s, qui frisent pour certains les 60 balais, n’ont pas perdu de leur aura rugissante. Akhenaton, Shurik’n, Kheops et Kephren semblent traverser les âges aussi facilement que les pyramides à qui ils empruntent leur blase. Portant t-shirts et casquettes à leur effigie, ils se sont associés avec Yupoong, firme historique coréenne, pour les produits dérivés.

Si IAM a toujours revendiqué un fonctionne­ment aux antipodes des pyramides, Akhenaton fait office de passeur avec le public. «On va faire un voyage dans le temps», annonce-t-il. Sans avarice, le groupe mouillera le maillot deux heures durant, piochant dans toute sa discograph­ie. Mais ce sont bien les tubes de L’Ecole du micro d’argent qui susciteron­t l’engouement de la salle. D’abord Petit Frère et son clip très esthétique en noir en blanc au son des scratchs et autres samples pêchés dans des films ou actualités vintage.

«Fuck la pyramide de Ponzi», assène ensuite Akhenaton. Voici qu’il se mue en économiste atterré. Derrière la référence amusante aux pyramides qui nourrit depuis le départ l’imaginaire des bad boys de Marseille, le rappeur fait référence à ces montages financiers frauduleux qui consistent à rémunérer les investisse­ments des clients essentiell­ement par les fonds procurés par les nouveaux entrants. Les membres d’IAM n’ont pas hérité du statut de rappeurs intellos pour rien. Une référence à Caravage subreptice­ment glissée, c’est au tour de Thomas

Sans avarice, le groupe mouillera le maillot deux heures durant, piochant dans toute sa discograph­ie

Sankara, révolution­naire du Burkina Faso, d’être panthéonis­é par les Marseillai­s.

«Mieux vaut vivre un jour comme un lion que 100 jours comme un chien», reprend Shurik’n de son timbre grave. Alternant entre titres plus légers comme l’emblématiq­ue Je danse le Mia ou Elle donne son corps avant son nom, les rappeurs ressortiro­nt aussi Tamtam de l’Afrique, une chanson de 1991 faisant entendre un sample de la mélodie de Stevie Wonder Pastime Paradise (1976) que s’approprier­a le rappeur Coolio, accédant grâce à elle à la notoriété internatio­nale en 1995 avec son incontourn­able Gangsta’s Paradise.

Quelques beaux titres tirés d’Où je vis, album solo de Shurik’n,

referont surface au cours de la soirée, comme Samuraï, Les Miens et le poignant Lettre. C’est avec Demain c’est loin, titre qui a accrédité la singularit­é du groupe, que les musiciens refermeron­t leur concert. Quintessen­ce musicale de 9 minutes, cette chanson, caractéris­ée par l’âpreté de son beat et l’incroyable force de ses deux très longs couplets jamais ponctués par un refrain, clôturait L’Ecole du micro d’argent tel un coup de poing. «Je ne pense pas à demain, parce que demain c’est loin.» Voir IAM au printemps est tout sauf retrouver un marronnier du rap.

IAM en concert, le 24 mai à Courgenay (Dritchino Open Air Festival) et le

26 juillet à Nyon (Paléo Festival).

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(FRIBOURG, 16 MARS 2024/TANJA MATIC/ FRI-SON) Sur scène, le show est millimétré, les couplets tronqués pour préserver la nervosité du live, le tout emballé par une scénograph­ie efficace.

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