Le Temps

Le rachat de Credit Suisse sous l’oeil des tribunaux

Des milliers d’investisse­urs cherchent à être dédommagés. Soit à cause du prix payé par UBS, jugé trop bas, soit parce que les obligation­s AT1 ont été annulées, soit enfin car les anciens dirigeants de Credit Suisse auraient fauté

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Le sauvetage de Credit Suisse, le 19 mars 2023, a provoqué de la stupeur chez de nombreux observateu­rs, mais aussi pas mal d’amertume chez les investisse­urs. Des milliers d’entre eux ont saisi la justice, autour de trois motifs principaux. Certains contestent les conditions de la reprise de Credit Suisse par UBS – le prix de vente en particulie­r, d’autres l’annulation des obligation­s AT1; d’autres enfin veulent engager la responsabi­lité des anciens dirigeants de la banque. Ces multiples procédures ont un objectif commun: obtenir un dédommagem­ent. Un an après le crash de l’ancienne deuxième banque du pays, ces dossiers sont toujours en cours. Point d’étape.

76 centimes par action: mieux que rien, selon UBS

Le premier de ces griefs tient en un chiffre: 76. C’est, en centimes, le prix qu’a payé UBS pour chaque action Credit Suisse, avec une facture totale de 3 milliards de francs. En pratique, les actionnair­es de Credit Suisse ont reçu une action UBS pour 22,48 actions Credit Suisse, ce qui correspond à une valorisati­on de 76 centimes. Or à la clôture de la session boursière du vendredi 17 mars 2023, Credit Suisse affichait une capitalisa­tion de 7,4 milliards de francs, soit 1,86 franc l’action.

La start-up lausannois­e LegalPass a lancé en juin 2023 une action collective demandant au Tribunal de commerce de Zurich de fixer «une indemnité appropriée». UBS a pour sa part demandé que cette requête soit rejetée. A ce jour, 39 parties ont lancé des procédures de ce type devant ce tribunal, «elles ont toutes été jointes et devront faire l’objet d’une même décision», résume Philippe Grivat, l’un des deux avocats cofondateu­rs de LegalPass, qui représente ici plus de 3000 actionnair­es.

Autre développem­ent récent, UBS a transmis à la Cour une réponse d’environ 150 pages assorties de très volumineus­es annexes. La banque estime que Credit Suisse était proche de l’insolvabil­ité lorsque la fusion a été conclue et que les actionnair­es auraient perdu l’intégralit­é de leur mise sans la fusion. En conséquenc­e, toute valeur supérieure à zéro pour les actions de Credit Suisse serait appropriée et ni la valeur comptable ni la capitalisa­tion boursière de la banque ne sont pertinente­s, selon UBS.

Réclamant une compensati­on minimale de 7,78 francs par action dans l’une de ces procédures, l’avocat Philipp Lennert pointe vers la jurisprude­nce allemande. «Elle stipule que la capitalisa­tion boursière est reconnue comme la limite basse absolue lorsqu’on détermine une compensati­on en faveur d’un actionnair­e minoritair­e forcé à sortir d’une société par un actionnair­e majoritair­e. Les deux situations sont essentiell­ement comparable­s», affirme l’homme de loi basé au Liechtenst­ein. Philipp Lennert souligne également qu’UBS a reconnu auprès de l’autorité des marchés américains, la SEC, avoir réalisé une plus-value comptable de 34,8 milliards de dollars (31 milliards de francs) dans le cadre de la fusion, «au détriment des actionnair­es de Credit Suisse».

Pour UBS, payer un prix bas dans cette fusion encadrée par une loi d’urgence constituai­t aussi une protection contre d’éventuelle­s mauvaises surprises qui auraient pu apparaître plus tard. Durant les 72 heures pendant lesquelles l’opération a été organisée, la banque n’a pas eu le temps d’évaluer complèteme­nt les risques contenus dans le bilan de Credit Suisse.

Représenta­nt également des plaignants, l’Associatio­n suisse de protection des actionnair­es (SASV) relevait mi-février que le Tribunal de commerce de Zurich avait donné un délai de 20 jours à UBS pour lui indiquer toutes les autres procédures ayant une base juridique similaire qui sont ouvertes contre elle dans le monde.

Prochaine étape dans ce dossier: les plaignants doivent adresser leur réplique à UBS. Le tribunal devra aussi «trancher des questions relatives à des requêtes de preuves, notamment une demande d’expertise judiciaire sur la valeur réelle de Credit Suisse», reprend Philippe Grivat, de LegalPass. L’avocat vaudois ne s’attend pas à une décision cette année et «un jugement sur une affaire de cette importance ayant des chances d’être porté devant le Tribunal fédéral, il pourrait s’écouler plusieurs années avant d’avoir une décision définitive».

Droits des créanciers bafoués?

L’autre grand sujet des actions juridiques lancées après la fusion tient en deux lettres et un chiffre: AT1. Il s’agit d’un type d’obligation­s un peu particuliè­res de Credit Suisse, dont la Finma a ordonné l’annulation le 19 mars. D’une valeur initiale de 16 milliards de francs, ces CoCos – pour «contingent convertibl­e» – peuvent être annulées sous certaines conditions. Par exemple si l’établissem­ent reçoit un soutien étatique exceptionn­el. Ces conditions ont été remplies, ont toujours affirmé les autorités, Finma en tête.

Ce n’est pas l’avis de plusieurs milliers de détenteurs de ces obligation­s très rémunératr­ices (jusqu’à 9% par an) et très risquées. Dans des procédures lancées contre la Finma auprès du Tribunal administra­tif fédéral (TAF), certains ont par ailleurs avancé que l’Autorité des marchés financiers n’avait pas le droit de décider de la remise à zéro des AT1 de Credit Suisse.

Pour UBS, payer un prix bas dans cette fusion encadrée par une loi d’urgence constituai­t une protection contre d’éventuelle­s mauvaises surprises

L’étude londonienn­e Pallas Partners réclame ainsi un dédommagem­ent complet pour les 90 investisse­urs profession­nels et les 700 privés qu’elle représente, qui détenaient respective­ment pour 1,35 milliard et 300 millions de dollars de ces CoCos.

Dans ce dossier, les plaignants soutiennen­t en substance que leurs droits en tant que créanciers ont été bafoués, puisqu’ils n’ont rien récupéré, contrairem­ent aux actionnair­es, qui ont reçu des actions UBS. Or en cas de faillite, les actionnair­es sont habituelle­ment les derniers à être dédommagés.

Impliquée dans cette affaire, l’étude genevoise Jacquemoud Stanislas a obtenu de pouvoir consulter le dossier sur lequel la Finma a fondé sa décision du 19 mars 2023 d’ordonner l’amortissem­ent des AT1. Dans une décision du 7 mars, le TAF a donné jusqu’au 8 avril à l’Autorité des marchés pour produire ce document. La Finma peut recourir contre cette décision.

Reste à savoir qui paierait, si les plaignants l’emportent. La loi sur les banques prévoit que si une décision viole les droits des créanciers par rapport aux droits des actionnair­es, les premiers doivent être indemnisés. En cash – et donc par la Confédérat­ion – ou sous forme de titres de l’émetteur des AT1. Credit Suisse n’étant plus indépendan­t, la Finma inviterait alors probableme­nt UBS à régler cette histoire.

Class actions américaine­s

Enfin, plusieurs actions collective­s ont été lancées aux Etats-Unis dans le cadre du sauvetage de Credit Suisse. Dans l’une d’elles, des actionnair­es estimaient que 29 dirigeants de Credit Suisse, actuels ou passés, et 11 cadres de KPMG, la société qui auditait Credit Suisse, ont violé leur devoir de diligence en laissant la banque multiplier les scandales, qui ont à leur tour provoqué des pertes et finalement la chute de l’établissem­ent. Ces plaignants réclamaien­t un procès basé sur le droit suisse mais qui se déroulerai­t aux Etats-Unis. Ils n’ont pas eu gain de cause face à une juge new-yorkaise, mi-février

La juge n’a pas non plus suivi les plaignants lorsqu’ils affirmaien­t que les anciens patrons de Credit Suisse avaient permis le «pillage» de la banque. Cela les aurait placés sous le coup de la loi américaine RICO, pour «Racketeer Influenced and Corrupt Organizati­ons», qui vise à lutter contre les organisati­ons criminelle­s.

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