Le rachat de Credit Suisse sous l’oeil des tribunaux
Des milliers d’investisseurs cherchent à être dédommagés. Soit à cause du prix payé par UBS, jugé trop bas, soit parce que les obligations AT1 ont été annulées, soit enfin car les anciens dirigeants de Credit Suisse auraient fauté
Le sauvetage de Credit Suisse, le 19 mars 2023, a provoqué de la stupeur chez de nombreux observateurs, mais aussi pas mal d’amertume chez les investisseurs. Des milliers d’entre eux ont saisi la justice, autour de trois motifs principaux. Certains contestent les conditions de la reprise de Credit Suisse par UBS – le prix de vente en particulier, d’autres l’annulation des obligations AT1; d’autres enfin veulent engager la responsabilité des anciens dirigeants de la banque. Ces multiples procédures ont un objectif commun: obtenir un dédommagement. Un an après le crash de l’ancienne deuxième banque du pays, ces dossiers sont toujours en cours. Point d’étape.
76 centimes par action: mieux que rien, selon UBS
Le premier de ces griefs tient en un chiffre: 76. C’est, en centimes, le prix qu’a payé UBS pour chaque action Credit Suisse, avec une facture totale de 3 milliards de francs. En pratique, les actionnaires de Credit Suisse ont reçu une action UBS pour 22,48 actions Credit Suisse, ce qui correspond à une valorisation de 76 centimes. Or à la clôture de la session boursière du vendredi 17 mars 2023, Credit Suisse affichait une capitalisation de 7,4 milliards de francs, soit 1,86 franc l’action.
La start-up lausannoise LegalPass a lancé en juin 2023 une action collective demandant au Tribunal de commerce de Zurich de fixer «une indemnité appropriée». UBS a pour sa part demandé que cette requête soit rejetée. A ce jour, 39 parties ont lancé des procédures de ce type devant ce tribunal, «elles ont toutes été jointes et devront faire l’objet d’une même décision», résume Philippe Grivat, l’un des deux avocats cofondateurs de LegalPass, qui représente ici plus de 3000 actionnaires.
Autre développement récent, UBS a transmis à la Cour une réponse d’environ 150 pages assorties de très volumineuses annexes. La banque estime que Credit Suisse était proche de l’insolvabilité lorsque la fusion a été conclue et que les actionnaires auraient perdu l’intégralité de leur mise sans la fusion. En conséquence, toute valeur supérieure à zéro pour les actions de Credit Suisse serait appropriée et ni la valeur comptable ni la capitalisation boursière de la banque ne sont pertinentes, selon UBS.
Réclamant une compensation minimale de 7,78 francs par action dans l’une de ces procédures, l’avocat Philipp Lennert pointe vers la jurisprudence allemande. «Elle stipule que la capitalisation boursière est reconnue comme la limite basse absolue lorsqu’on détermine une compensation en faveur d’un actionnaire minoritaire forcé à sortir d’une société par un actionnaire majoritaire. Les deux situations sont essentiellement comparables», affirme l’homme de loi basé au Liechtenstein. Philipp Lennert souligne également qu’UBS a reconnu auprès de l’autorité des marchés américains, la SEC, avoir réalisé une plus-value comptable de 34,8 milliards de dollars (31 milliards de francs) dans le cadre de la fusion, «au détriment des actionnaires de Credit Suisse».
Pour UBS, payer un prix bas dans cette fusion encadrée par une loi d’urgence constituait aussi une protection contre d’éventuelles mauvaises surprises qui auraient pu apparaître plus tard. Durant les 72 heures pendant lesquelles l’opération a été organisée, la banque n’a pas eu le temps d’évaluer complètement les risques contenus dans le bilan de Credit Suisse.
Représentant également des plaignants, l’Association suisse de protection des actionnaires (SASV) relevait mi-février que le Tribunal de commerce de Zurich avait donné un délai de 20 jours à UBS pour lui indiquer toutes les autres procédures ayant une base juridique similaire qui sont ouvertes contre elle dans le monde.
Prochaine étape dans ce dossier: les plaignants doivent adresser leur réplique à UBS. Le tribunal devra aussi «trancher des questions relatives à des requêtes de preuves, notamment une demande d’expertise judiciaire sur la valeur réelle de Credit Suisse», reprend Philippe Grivat, de LegalPass. L’avocat vaudois ne s’attend pas à une décision cette année et «un jugement sur une affaire de cette importance ayant des chances d’être porté devant le Tribunal fédéral, il pourrait s’écouler plusieurs années avant d’avoir une décision définitive».
Droits des créanciers bafoués?
L’autre grand sujet des actions juridiques lancées après la fusion tient en deux lettres et un chiffre: AT1. Il s’agit d’un type d’obligations un peu particulières de Credit Suisse, dont la Finma a ordonné l’annulation le 19 mars. D’une valeur initiale de 16 milliards de francs, ces CoCos – pour «contingent convertible» – peuvent être annulées sous certaines conditions. Par exemple si l’établissement reçoit un soutien étatique exceptionnel. Ces conditions ont été remplies, ont toujours affirmé les autorités, Finma en tête.
Ce n’est pas l’avis de plusieurs milliers de détenteurs de ces obligations très rémunératrices (jusqu’à 9% par an) et très risquées. Dans des procédures lancées contre la Finma auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF), certains ont par ailleurs avancé que l’Autorité des marchés financiers n’avait pas le droit de décider de la remise à zéro des AT1 de Credit Suisse.
Pour UBS, payer un prix bas dans cette fusion encadrée par une loi d’urgence constituait une protection contre d’éventuelles mauvaises surprises
L’étude londonienne Pallas Partners réclame ainsi un dédommagement complet pour les 90 investisseurs professionnels et les 700 privés qu’elle représente, qui détenaient respectivement pour 1,35 milliard et 300 millions de dollars de ces CoCos.
Dans ce dossier, les plaignants soutiennent en substance que leurs droits en tant que créanciers ont été bafoués, puisqu’ils n’ont rien récupéré, contrairement aux actionnaires, qui ont reçu des actions UBS. Or en cas de faillite, les actionnaires sont habituellement les derniers à être dédommagés.
Impliquée dans cette affaire, l’étude genevoise Jacquemoud Stanislas a obtenu de pouvoir consulter le dossier sur lequel la Finma a fondé sa décision du 19 mars 2023 d’ordonner l’amortissement des AT1. Dans une décision du 7 mars, le TAF a donné jusqu’au 8 avril à l’Autorité des marchés pour produire ce document. La Finma peut recourir contre cette décision.
Reste à savoir qui paierait, si les plaignants l’emportent. La loi sur les banques prévoit que si une décision viole les droits des créanciers par rapport aux droits des actionnaires, les premiers doivent être indemnisés. En cash – et donc par la Confédération – ou sous forme de titres de l’émetteur des AT1. Credit Suisse n’étant plus indépendant, la Finma inviterait alors probablement UBS à régler cette histoire.
Class actions américaines
Enfin, plusieurs actions collectives ont été lancées aux Etats-Unis dans le cadre du sauvetage de Credit Suisse. Dans l’une d’elles, des actionnaires estimaient que 29 dirigeants de Credit Suisse, actuels ou passés, et 11 cadres de KPMG, la société qui auditait Credit Suisse, ont violé leur devoir de diligence en laissant la banque multiplier les scandales, qui ont à leur tour provoqué des pertes et finalement la chute de l’établissement. Ces plaignants réclamaient un procès basé sur le droit suisse mais qui se déroulerait aux Etats-Unis. Ils n’ont pas eu gain de cause face à une juge new-yorkaise, mi-février
La juge n’a pas non plus suivi les plaignants lorsqu’ils affirmaient que les anciens patrons de Credit Suisse avaient permis le «pillage» de la banque. Cela les aurait placés sous le coup de la loi américaine RICO, pour «Racketeer Influenced and Corrupt Organizations», qui vise à lutter contre les organisations criminelles.
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